Un samedi matin

 

Batailles choisies #223

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Parents! Vous savez, cette belle photo d’un samedi matin de grasse matinée en famille? Celle où parents et enfants sourient dans un lit soigneusement défait? Brûlez-la. 📷


 

(Samedi)




À 05h52 (AM, je précise haut et fort), Dernier, qui dort à côté de moi dans le lit parental, commence à émettre des bruits d’oisillons. Un rapide coup d'œil à ma gauche pour analyse de la situation: mon mari n’est pas dans le lit. Milieu a pris sa place.

Alerte! Risque de réveil imminent!

À 05h52, il faut donc que je me dépêche de changer Dernier et de le mettre au sein sans bruit pour que Milieu n’ouvre pas encore l’œil.

Ouf. C’est fait.

Silence.

Serait-ce possible?

Serait-ce possible qu’on puisse tous les trois se rendormir en douceur?


Un puis deux puis trois enfants

-Môman! Môômâânn!




Non, évidemment, ce n’est pas possible. 




Milieu ouvre un œil et réclame son biberon. À cette heure, le danger est grand que cela signe le début de sa journée. Le plus sage serait que je lui donne pour qu’il se rendorme au plus tôt, ce qui est assez fréquent. Sauf que j’ai un marmot accroché au sein droit, que, hors du lit, il fait froid et que je ne veux pas céder au biberon. J’en ai ma claque de cette histoire de biberon. Il l’a gravé dans le corps de le réclamer à peine éveillé avec des appels déchirants d’homme qu’on porte à l'échafaud et justement, on tente de lui faire perdre cette habitude en le faisant attendre jusqu’à 7 heures au moins. Alors non, non, pas de biberon, Milieu, c’est encore la nuit. Quand ce sera le matin, oui.

Allez, on dort. 




Il faudrait pour que tout le monde retrouve le chemin du sommeil, une ambiance calme. Je devrais dégager une énergie bienveillante, des ondes de sérénité et d’amour tranquille.

Sauf qu’émane plutôt de moi une ambiance de coups de dagues et d’abandon de famille.

Milieu se tourne et se retourne comme une crêpe. Dernier glapit de temps en temps, si possible au moment exact où le calme semble être revenu.




Après une heure de gigotage, j’abandonne, je me débine, je flanche: 

-Bon, Milieu, je descends te faire ton biberon, tu restes là, tu le bois, et après tu dors, c’est bien compris?

C’est dit avec une telle colère contenue que Milieu acquiesce et ne bouge pas d’un pouce.




En descendant dans la cuisine, je remarque que la porte de la chambre des enfants, où se trouvent Grand et mon mari, est fermée. Le message est clair: les bruits ne parviennent pas jusqu’au deuxième responsable légal, qui me laisse entendre que “bon, ben, bonne chance, hein, et à la revoyure!”




Biberon prêt.

Biberon pris.

Je donne tout ce que j’ai pour ce fol espoir qu’on puisse se rendormir: je prodigue caresse de ma main droite sur Dernier que j’ai remis au sein pour tétouiller, caresse de ma main gauche contorsionnée à Milieu. Murmures, yeux clos, respiration pacifiée. Même ma colère commence à s’apaiser… au bout d’une heure, on y est presque.




Tap, tap, tap, tap, tap…

Diantre.

Je connais ces bruits de pas.

La porte qui s’ouvre. Grand qui arrive avec son énorme peluche lion.

-Maman, me susurre-t-il, je fais un cauchemar.

-Allez, viens, mets-toi à côté de ton frère, mais chuut, hein. On dort tous ici !

(Mensonge à fonction de survie.)


Oh, la belle photo!


Parents! Sortez vos appareils photos! Magazines! Venez admirez ma belle famille!

De gauche à droite: Dernier, le bébé joufflu profondément endormi à l’air d’Ange; Maman, longs cheveux ondoyants sur l’oreiller aux motifs fleuris; Milieu, beau visage sur un pyjama tigre à croquer; Grand, blondinet, collé à son frère, qui tient serré dans ses bras son énorme peluche lion.  

L’instant du cliché. 

Clic.

Fin de la photo de magazine.

On revient à un vrai samedi matin de magazine qui a pris l’eau.



Grand commence à jouer avec Milieu, ils se donnent des coups de pieds en éclatant de rire. Je dis une première fois “chuut”. Ils commencent alors à compter jusqu’à dix, Grand enseignant, petit répétant, uno, dos, tres... Je me relève sur un coude et les foudroie du regard. Pour donner le change, les deux ferment très fort les yeux, espérant me faire croire qu’ils ont l’intention de dormir. Dernier donne quelques signes alarmants de réveil, je lui mets d’office un téton dans la bouche. Grand et Milieu commencent maintenant à jouer à cache-cache sous la couverture. La mascarade a assez duré. Deux heures que je me bats contre des moulins. Alors, les moulins, c’est bon: dehors.

-Grand, Milieu, c’est bon, vous ne dormez pas, j’ai compris! Dehors, allez réveiller Papa, et laissez-moi tranquille! 



La porte se referme derrière eux.

Le calme, à l’extérieur, revient.

En moi, ça s’agite.

  

Parce que la journée va être longue: Grand s’est couché un peu plus tard hier, il n’y a pas école demain, tu peux faire une partie de Monopoly après dîner. Milieu est debout depuis 6 heures du matin.

Pour ma part, je ne vais pas me rendormir. Je vais traîner ma fatigue et celle de mes enfants toute la journée. 



Dernier, lui, finit sa nuit. Il a replongé dans un sommeil délicieux dont n’émergent que quelques mouvements de bouche en cœur et de poitrine montant et descendant avec béatitude. Sa peau douce est d’une tiédeur parfaite.

Longue journée à venir.

Rester encore un peu au lit. Rester encore tout contre ma petite bouillotte.


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