Cette maman-là

 

Batailles choisies #303

Une chouette sortie, où je suis fière d’être mère de mes enfants, prend un virage moins fier. C’est par où la sortie? ↩️


 

En fin de journée, Maman, Grand en main gauche, Milieu en main droite et Dernier en porte-bébé, poussent la grille des jeux de la Lagune.

Depuis quelques semaines, c’est notre sortie de fin d’après-midi privilégiée. Des jeux qu’on escalade, qu’on redescend en toboggan, où on se dépense, où on rit, où on est dehors: il y en a pour tous nos goûts. 

- Vous pouvez monter, les garçons!

Je regarde les aînés partir en riant, sens Dernier gigoter contre moi, respire un grand coup: je suis contente d’être là.

J’aime bien être cette maman-là.

Je me suis rendue compte que c’est le regard, un peu amusé, un peu admiratif, que je sens (imagine?) sur moi, posé sur la femme avec ses trois garçons, qui me plaît. Malgré les difficultés de la maternité, quand j’ai cette identité de maman de trois petits, quand je me pointe avec mes gosses dans les bras, les jupes et les mains, je me sens en phase avec moi-même. 

J’aime bien être cette maman-là qui a gratifié le monde de trois diables de Tasmanie, et qui fait de son mieux pour qu’ils ne sèment pas la terreur dans leur sillage.

Cette maman, je lui dis “bravo”, “tu fais ce que tu as à faire”, n’est-ce pas les garçons?


Milieu, outré qu’une fillette essaie de monter avant lui à l’échelle, se met à piquer une crise en criant et en hurlant et à pousser la pauvre éberluée.

J’aime moins être cette maman-là, qui a des ogres égoïstes en lieu et place d’enfants mignons.


Grand, à qui je dis qu’on fait un dernier tour de toboggan, me crie depuis sa hauteur inatteignable: non jamais! Je vais en faire autant que je veux. De toute façon, tu ne peux pas venir me chercher, nananananère!

Je n’aime pas être cette maman-là, celle qui négocie (mal) le huitième dernier tour de toboggan, allez, c’est le dernier, celui-là, hein mon chéri?  


Milieu, qui hier et avant-hier, pour ma plus grande fierté, escaladait les cordes et descendait dans le toboggan géant sans peur, ce soir, eh bien, il ne veut pas, il a peur, il est coincé là-haut et pleure qu’il ne veut pas descendre.

J’aime très-peu-pour-moi être cette maman-là, cette maman que les gens regardent en se disant en même temps, il est trop petit son fils pour ces jeux, elle aurait pas dû le laisser monter, et moi de m’imaginer répondre à leurs reproches imaginaires, non mais si, si, je vous assure, hier il est monté sans problème, il n’avait pas peur, monté et descendu vingt fois, sans souci, croix de bois, croix de fer!


Milieu, à peine descendu avec difficulté, dit “pipi”, “pipi” et va se mettre aussi sec au milieu des buissons, baissant son pantalon sans discrétion. 

Je n’aime pas du tout être cette maman-là, j’espère qu’on ne nous voit pas trop, allez, fais vite, fais vite.


Milieu et Grand se liguent pour réclamer une glace, à grands coups de jérémiades et de supplications. Dernier s’agite, faim et sommeil mêlés le rendant plus sensible.

Allez, ça suffit, on rentre, là.


Maman, tirant Grand en main gauche, poussant Milieu en main droite et tentant de consoler Dernier en porte-bébé, déguerpit honteusement par la grille des jeux de la Lagune.

Je fourre des enfants qui chouinent et se chamaillent dans la voiture, sous le regard compatissant des passants.

Cette maman-là, la pauvre.


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Heloise Simonsortie, honte