Profite!

 

Batailles choisies #425

Paraît-il qu’il faut profiter de ses enfants. Mais… Quand? Comment? 🐺


 

Assise bien droite sur le lit bas de Dernier, pas encore tout à fait endormi, je regarde au dehors la lumière bleutée. Elle est en train d’enlever ses vêtements de chien pour mettre son pyjama de loup. Il est autour de 19 heures, à peine. Ça fait une bonne demi-heure que j’ai commencé le rituel d’endormissement de mon bébé. 

J’entends, au bout du couloir, dans la salle de bains des enfants, des éclats de voix. Les grands se prennent une remontrance pour je ne sais quelle bêtise qu’ils ont faite. J’entends la fatigue dans la voix de mon mari, les petits sanglots dans la voix des garçons. Pauvre mari! Il est épuisé en ce moment, il sort du bureau et il passe deux heures avec des gosses qui crient, il a à peine vu son dernier-né trente minutes… Pauvres enfants! Avec un peu plus de disponibilité de leur papa ou de moi, ça irait mieux, on trouverait des sorties paisibles à ces conflits de tous les jours, qui ne sont rien, mais qui énervent tout et tout le monde. J’aimerais tellement, le soir, être plus présente pour mes aînés, moins accaparée par Dernier dont les horaires me rendent la vie impossible. La conseillère en sommeil avec laquelle je travaille m’a aidée à recaler les horaires de sommeil des enfants, en particulier à les coucher plus tôt. C’est une bonne chose. Le seul point négatif, c’est que je dois rattraper les heures de sommeil de la crèche, où Dernier ne dort pour l’instant pas assez. Je dois donc, tous les soirs, le coucher tôt, très tôt, trop tôt: à 18h30, 19 heures maximum, je suis coincée dans la chambre, avec un bébé qui tète et des grands enfants que j’ai vus à peine deux heures de retour de l’école et que, sans doute, je ne reverrai qu’endormis, au sortir de mon sacerdoce d’allaitante. 


Le jour est tombé, le store laisse entrer dans la chambre la lumière orange du réverbère qui vient de s’allumer, caressant ma main posée sur le bébé endormi. C’est le calme d’un soir d’automne dans une ville de banlieue, c’est le calme d’un moment de lecture que je perçois au bout du couloir, Papa lisant des histoires de pirates à Grand et Milieu, moment auquel je ne peux me joindre, auquel je n’arriverai pas, ce soir encore, à me joindre. “Commencez la lecture et j’arrive”, ai-je dit tout à l’heure. Installe le jeu, Grand, et j’arrive, ai-je dit avant ça. Tu veux me montrer ton dessin, Milieu? J’arrive! ai-je promis avant ça encore.

“J’arrive”. Je crois que c’est la phrase que je dis le plus souvent à la maison. “J’arrive”... et pourtant, je n’arrive jamais; “j’arrive”... et pourtant, je n’y arrive pas.


Assise bien droite sur le lit de Dernier, comme me l’a intimé la conseillère en sommeil pour lui redonner de bonnes habitudes nocturnes, je pense à toutes ces fois où j’ai entendu: “Profite, hein! Profite de tes enfants!” Mais… quand? Au milieu d’un dîner de désordre et de cacophonie? Avant les disputes pour les chaussures qui traînent et après les préparations des déjeuners et des goûters pour demain? 

C’est peut-être une mauvaise passe liée à l’âge de Dernier qui me donne cette impression de ne profiter de personne, de ne faire que courir d’un enfant à l’autre. Et si, le temps que Dernier grandisse, Grand et Milieu avaient trop grandi et qu’envolés se trouvaient les moments de qualité au retour de l’école? Ne grandissez pas trop vite, je veux être dans votre vie, je fais de mon mieux et me dépêche… attendez-moi, j’arrive, j’arrive!


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