Marre

 

Batailles choisies #461

Plus on s’approche de nos vacances et plus on en a marre d’avoir des enfants. 🥵


 

Marre. On en a juste marre. Marre du bruit, marre du bazar, marre des cris, marre des disputes. Il est 18h15, il fait nuit noire et il pleut dehors. Il reste une petite semaine avant nos vacances et chaque heure qui nous sépare d’elles s’étire de l’infini ingéniosité des enfants pour vous faire sortir de vos gonds. Marre, marre de ce dîner où Grand s’amuse à faire tinter son verre avec son couteau, où Milieu dédaigne son assiette de sa moue dégoûtée, où Dernier émet ses piaillements caractéristiques signifiant qu’il veut manger tout seul, comprenez : fourrer ses mains dans la purée et en mettre partout. Marre. 

- Grand, tu arrêtes tout de suite.

- Allez, Milieu, tu manges maintenant, ça suffit.

- Mais quoi, Dernier, quoi? Non, c’est maman qui donne à la cuillère.

Dans les regards qu’on échange, mon mari et moi, clignotent les marre, marre, marre qu’on ressent dans nos cœurs. Ça n’existe donc pas des dîners un peu tranquilles, un peu apaisés, un peu assis, quand on a trois enfants en bas âge et en plein hiver? J’ai passé deux heures avec mes bambins, mon mari vient à peine de refermer son ordi et, déjà, on n’en peut plus. 

- Grand, y en a marre de devoir te répéter dix fois la même chose!

- Milieu, y en a marre que tu ne manges jamais rien!

- Dernier, y en marre que tu veuilles tout faire tout seul, non, c’est Papa, Papa, qui donne.

Marre des dîners. Marre des repas avec mes gosses. Coupons l’intermédiaire: marre de mes gosses. Non, mais regardez: Grand se tient de travers sur sa chaise et joue à faire des dessins dans sa purée, parfaitement imperméable à nos remontrances. Milieu dit avec son air têtu qu’il ne veut pas manger en repoussant éloquemment son assiette jusqu’à ce qu’elle arrive de l’autre côté de la table. Dernier étale consciencieusement de la purée avec ses doigts sur notre belle table en bois. 

Nos regards de parents fatigués passent de la table, à la salle à manger, à la cuisine qu’on voit par la porte entrouverte. Du sopalin a servi à éponger un verre renversé. Les assiettes s’empilent, les couverts sont dispersés avec le désordre d’une fin de banquet. De la purée et du riz, parce qu’il a fallu amener du riz pour Milieu qui ne voulait pas de purée et qu’il faut tout de même légalement nourrir, jonchent le sol. Dans la cuisine, on distingue les plats du goûter, les plats de la soupe refusée, les poêles et tout ce qu’on n’a pas eu le temps de ranger avant le dîner. Le marathon catastrophe du dîner est suivi de l’odyssée du rangement de la cuisine durant lequel je me rends compte que nous n’avons plus aucun bol. À force de compotes, de yaourt, de soupe, de yaourt bis, de riz, de pâtes, tous nos bols sont sales et je sors des tasses à thé pour le dessert, dont l’un s’empiffre, que l’autre mange à peine et que le troisième n’a même pas remarqué pendant que nous nous attaquons au rangement. Mari et moi rangeons en séparant des disputes et en câlinant un bébé, nous câlinons un bébé en rangeant tant bien que mal et en séparant mal les disputes, tout autant que nous séparons les disputes en offrant de mauvais câlins sans réussir à ranger. Marre. Toi, marre et moi, marre.   

Nos regards se rencontrent par-delà les bols. Nos espoirs aussi. Nous partons bientôt pour quelques semaines de vacances en France, en été, en famille. De quoi lancer un pavé dans le marre. 

Nos enfants, durant ce séjour, mangeront-ils plus proprement? Auront-ils intégré les bonnes manières? Auront-ils appris à attendre sagement à table au lieu de se lever pour aller jouer alors qu’ils ont encore la bouche pleine? Utiliseront-ils moins de bols? Non, mais on aura d’autres paires de manches pour porter leurs bonnes manières à bout de bras. Non, mais on pourra sortir l’un ou l’autre dès que le repas est fini. Non, mais on en aura quand même moins ras le bol.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Heloise Simonfatigue, famille