Koh Lanta - épisode 1

 

Batailles choisies #604

Un mari 10 jours en déplacement professionnel, ou le Koh Lanta maternel. Survivra? Survivra pas? Épisode 1: ça va bien, ça va mal, ça va comme ci comme ça. ❤️‍🔥


 

Jour 1


Miracle.

Miracle, il n’y a pas d’autre mot.

Miracle, il n’y a pas d’autre concept qu’une grâce qui vient d’en haut, qu’une main qui intervient pour que mes trois enfants dorment à 20h40.


Je m’attendais à m’arracher la peau des joues avec mes ongles, à hurler, à maudire le ciel, le sort et bien sûr, Mari, ce soir. Mais non. Non, les enfants n’ont pas lambiné au moment où l’alarme quotidienne, qui sonne l’heure du coucher-dodo, a fait entendre ses notes. Les enfants, ensuite, n’ont pas rechigné à se laver les dents, ni à lire tous ensemble le même livre, ni même à éteindre la lumière.  Dernier, qui a pour doudou mon téton, qu’il malaxe et caresse pour s’endormir, a même eu les mains moins baladeuses que certains soirs. Résultats: la soirée a été douce, tout le monde dort avant 21 heures et j’en suis toute étonnée.


C’est d’autant plus un miracle que je me retrouve seule à gérer les enfants pendant plus de 10 jours, pendant que Mari est en déplacement à l’autre bout du monde. Me voilà donc marronne, abandonnée par Mari sur une île, non pas déserte, mais oh! fourmillant d’insectes venimeux et de créatures sauvages, en particulier Grand, un capriné bruyant aimant grimper partout, Milieu, un guépard nerveux et Dernier, un être fantastique capable de rester éveillé 72 heures d’affilée, crachant du venin, disposant de tentacules et rugissant comme un lion.


Enfin, seule sur mon île, non: mon père est en séjour chez nous, il est d’une aide précieuse, surtout pour ce qui est des aînés. Mais il reste des impondérables que seule Maman peut faire, en particulier consoler les gros chagrins et faire faire un bon dodo.

Ces deux derniers points ont été réalisés, ce soir, avec intervention divine de quelque sorte que ce soit donc, et sans encombre. Miracle. 





Jour 2


Nuit de merde.

Aube de merde.

Vie de merde.


J’ai passé une nuit atroce. Dernier a appelé Papa toute la soirée. Mes explications de “Papa est en voyage, il revient bientôt” ne l’ayant pas beaucoup apaisé, il s’est endormi avec le nom de son paternel au coin des lèvres et des larmes au coin des yeux. J’ai dormi une petite heure seulement dans mon lit avant que mon cadet ne se réveille. Dernier m’a ensuite toussé à la figure toutes les demi-heures. Pour se rassurer, il a évidemment passé la nuit à me triturer le téton ce qui m’a vidé l’âme d’amour et l’a remplie du poison de l’impatience, de la haine, du regret, sacrée potion. Dernier a, conséquemment, empêché Milieu de dormir avec sa toux et ses geignements et bien sûr, à 4 heures du matin, Milieu est venu dans le lit de Dernier avec moi, me caressant désagréablement le cou (son téton à lui). Ma nuit s’est ainsi finie. Écrasée au milieu de ce sandwich, énervée par le tripatouillage et la journée exténuante que ce manque de sommeil laisse prévoir, j’ai eu tout le temps de mouliner ma haine…  


Mais pourquoi? Pourquoi? C’est pas juste! 


Me voilà, dans un lit une place, une main qui me tripote le téton, une autre me pinçouillant le cou, avec la certitude que ma journée a déjà commencé, pendant que de l’autre côté du monde, sur l’île où on n’a plus d’enfant, Monsieur se la coule douce! Sur mon île à moi, où j’ai fait naufrage le jour où je me suis dit que nous, on ne serait pas comme les autres couples, on partagerait, je n’ai d’autre Vendredi que Papi, mon petit papa chéri, qui n’en reste pas moins un homme de 76 ans qui semble découvrir chaque jour qu'élever des enfants est très difficile. Comme à Vendredi, il faut lui apprendre un langage qu’il ne comprend pas: il pleure parce qu’il est fatigué, il ne fait pas de caprice, il a faim, non, mais ne lui dis pas ça, il va bouder, lis-lui un livre, ce soir. Couchée dans le lit de Dernier, dans la pénombre que l’aube naissante commence à éclairer méchamment alors que je n’ai pas dormi plus de cinq heures, je sens en moi s’allumer le grand brasier de ma haine de l’homme.


Devant le grand feu de Koh-Lanta, j’ai envie d'éliminer tous les hommes de ma vie.


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