Confinement - Jour 5

 

Batailles choisies #9

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En deux mots: Les écrivain.e.s semblent trop heureux d’être confinés. C’est suspect.

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Hier, je me suis pris une claque - au sens figuré. 

Alors aujourd’hui, j’ai besoin de réfléchir à mon journal, besoin de comprendre pourquoi je le tiens, ce journal d’un confinement.


Ma claque, d’abord.

Hier, je vois passer sur Twitter des moqueries bien senties sur le journal de confinement de Leïla Slimani (texte que je n’ai pas lu, je le précise) publié dans Le Monde. Alors que le globe court peut-être à sa perte, Slimani écrit depuis sa belle maison sur des problèmes qui n’en sont pas, tient, en somme, un journal de confinement grand bourgeois quand d’autres ne savent pas comment ils vont survivre à cette catastrophe.

En lisant ces tweets, j’ai une montée de sang, je rougis, je bafouille, je me dis en fait, moi aussi, je suis une bourgeoise qui tient un journal de confinement confortable. Est-ce que je suis ridicule? inconsciente? ignorante du malheur des autres?   

Ce soir, j’ai besoin de répondre à cette question, pour continuer ou non, demain, mes posts quotidiens. Répondre à cette simple question douloureuse :

est-ce que je peux, est-ce que j’ai le droit, d’écrire un journal de confinement quand j’habite une maison avec piscine?

Dans cette crise sanitaire mondiale, qui dévaste des régions, des personnes, des vies, les privilégiés ne feraient-ils pas mieux de se taire ?

Des privilèges, j’en ai beaucoup, et j’en suis consciente. 

J’ai 

le privilège de vivre dans une maison avec jardin.

le privilège qu’on soit deux parents à la maison.

le privilège d’avoir deux salaires assurés à la fin du mois.

le privilège de ne pas avoir peur de mon conjoint.

le privilège d’avoir des réserves de nourriture ou de la place pour en faire si nécessaire.

le privilège d’habiter dans un lieu où il fait beau et chaud.

le privilège d’avoir des enfants sains.

Quand d’autres font l’expérience de la détresse, j’ai le privilège de pouvoir vivre cette pandémie comme un trop long week-end.

Être rappelée à sa chance fait mal. Mais je veux croire que je peux écrire sur mon expérience, que je ne fais pas preuve d’indécence, si je garde en tête mes privilèges, et si je replace cette écriture dans mon parcours d’écrivaine. Je ne vis pas ce confinement comme une aubaine d’écrivaine en mal de projets, chouette, un truc à dire, une occasion de faire parler de moi. Écrire sur ma vie quotidienne fait partie de mon travail depuis longtemps : huit ans que je tiens un journal quotidien, sur des petits carnets bleu gris, où je répertorie, analyse, raconte par le menu, les actions (in)signifiantes qui composent mon existence.

Parce que je suis persuadée, d’autant plus depuis que je suis devenue maman, que dans ce quotidien se loge un matériau littéraire rarement découvert, rarement exploité dont, un jour, je ferai quelque chose

Pourquoi le publier, alors, plutôt que de continuer à le consigner pour moi seule?

J’ai voulu contrer la perspective de semaines entières à souffrir de la présence constante de mes enfants par un projet lancé dans le monde, voilà, pas de retour en arrière possible, pas le moment de flancher, la jument.

Rien de plus.

Écrire, modestement, de façon têtue, sans prétendre à ce que mon expérience vaille celle des autres, depuis un cœur honnête. Je ne publie pas ce blog comme si c’était une expérience extraordinaire. C’est un autre rythme, une autre manière de compiler cette vie quotidienne avec des enfants qu’on oublie presqu’instantanément alors que je veux en garder trace

Et, si je dois regarder plus souvent d’où j’ai la chance de partir, je crois que cette chronique quotidienne qui pour l’heure ne mène à rien, me mènera quelque part. 

Mon journal d’un confinement, il faut que vous le lisiez comme ça. Et surtout que je l’écrive comme ça.

 
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