Bel été qui s’enfuit 
 

Batailles choisies #394

Il y a des signes qui ne trompent pas: l’été n’est pas éternel. Bientôt arrivera l’automne et son cortège de frimas. 🌬


 

Quelques jours déjà que je remarque des changements, discrets, subtils, pouvant passer facilement inaperçus - j’ai demandé à ma mère si elle avait remarqué… 

Non? Pourtant… 

Ce sont les fleurs blanches du laurier qui, au fond du jardin, sont caressées par la lumière du matin à 9h30.

C’est la couleur des murs de la chambre qui, quand on s’éveille avec Dernier, est encore du bleu cendré de l’aube, et ne sera d’un jaune éclatant, frappant même à travers les stores fermés, que dans une heure.

C’est le vent qui se lève en plein après-midi alors qu’il ne souffle, au plus chaud de l’été, qu’à partir de 18 heures.

C’est le petit pull que j’embarque dans mon sac à dos en allant au square à vélo parce qu’au retour le jour sera déjà tombé et qu’il ne faudrait pas que Dernier attrape froid.

C’est la fraîcheur qui me donne la chair de poule quand, le matin, je monte dans la voiture pour conduire Dernier à la crèche.

C’est le vaste champ que j’aperçois depuis la voiture, à droite, où verdissent et poussent à vue d'œil et de jour des fanes.

Ce sont les fenêtres qu’on ferme la nuit, les pyjamas un peu plus chauds qu’on remet. 


C’est la réorganisation légère, subtile, que m’invite à suivre la saison. En décembre, en janvier, au plus fort de l’été chilien, impossible de sortir en pleine journée, quand la chaleur est accablante. Toutes les activités ou les sorties se font tôt le matin ou en soirée. Mais là… aller à la Lagune à 15h30, après la sieste de Dernier? Oui, oui, pourquoi pas.  


Tout ce que je vois autour de moi, tout ce que je ressens, ce sont les signes de la saison d’été finissant: ceux que je vois à la maison, ceux qui soufflent dehors, ceux que je ressens sur ma peau, ceux du soir et ceux du matin.

Chacun de ces petits riens me dit que l’été commence à vivre ses dernières semaines. 


Avec ces lumières qui changent, ces chaleurs qui se calment, s’annonce, à l’horizon, l’automne.

L’automne et son lot de nouveautés, l’automne et son lot d’inquiétudes.

Parce que la fraîcheur du matin, ce sont les méchants rhumes, les journées avec les enfants malades, le stress terrible d’un dimanche soir où une fièvre s’est déclarée, et qu’on n’a pas de solution pour faire garder un enfant malade et qu’est-ce qu’on va faire pour le boulot.

Parce que le jour qui tombe plus tôt, c’est la fin des sorties qui occupent les soirées, c’est le début des longues soirées d’automne où il faut bien, entre quatre murs, à force de jeux de cartes et de musique à danser, arriver jusqu’au coucher.

Parce que le soleil qui n’entre plus, tôt le matin, ça veut dire mettre le réveil, avoir peur de rater le réveil et démarrer la journée en secouant les enfants, en préparant à l’arrachée des sacs, en peignant des cheveux rebelles, en attachant des lacets rétifs. 


Parce que la fin de l’été, c’est le retour de mes parents en France, c’est la rentrée scolaire, c’est une nouvelle vie pour moi, qui aura sûrement ses instants de lumière, mais dont je ne vois, pour l’instant, que les teintes sombres de mon inquiétude.


Qu’il est dur à voir s’enfuir, ce bel été… 

Qu’il apporte de brume et de frissons, à l’horizon, mon automne!


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Une autre femme
 

Batailles choisies #393

Je comprends seulement maintenant d’où vient ce cliché qu’on s’entend mieux entre parent et enfant de sexe opposé, entre père et fille ou mère et fils. Pour vous? C’est un cliché ou c’est vrai? 👩‍👧


 

Je regarde mes garçons qui jouent ensemble, avec la brusquerie et le ridicule des jeux d’enfants - et le privilège que les garçons ont de faire des jeux brusques et idiots. Ils se secouent puis éclatent de rire, se font des prouts-bisous, se montent dessus pour jouer au cheval, hilares, heureux. Je les regarde et me rappelle soudainement que, pour mon fils aîné, j’étais persuadée d’attendre une fille. Que pour mon deuxième, j’étais sûre que ce serait un garçon. Et que pour mon troisième, j’étais sûre, et soulagée aussi, que ce soit un garçon. Je dis bien soulagée parce que j’imaginais qu’une fille venant après deux garçons dans une famille de trois enfants passerait sa vie à entendre de gens bien intentionnés mais maladroits que “dis-donc, tes parents, ils voulaient vraiment une fille!” Un garçon au moins ne se retrouverait pas à porter l’étendard de “la fille tellement désirée”.

Voilà comment, par hasard, je suis mère de trois garçons.

Et ça me plaît. Curieusement, je trouve ça facile.

Je me demande pourquoi… 


Je repense à tous ces clichés, à toutes ces histoires vécues aussi, où la mère a des relations conflictuelles avec ses filles davantage qu’avec ses fils. Je repense à ces filles, adolescentes ou adultes, qui s’amusent, se moquent ou critiquent leur mère, plus que leur père. Je repense à toutes ces filles qui se sont éloignées de leur mère, puis s’en sont rapprochées lorsqu’elles sont elles-mêmes devenues mères.

En fait, je me dis que j’aurai la chance de ne pas imposer une féminité (entendu simplement comme le fait de vivre sa vie en tant que femme) à une autre femme. Si j’avais eu une fille, j’aurai forcément mis ma façon d’être femme comme modèle, comme exemple à suivre ou non. J’aurai été pour elle ce qu’est une femme… et j’aurai forcément pris en pleine face à l'adolescence les écarts, les refus, les rejets de cette femme que je suis, miroir positif, miroir négatif.


Mes fils me reprocheront bien tout ce qu’ils veulent à l’adolescence et dans leur vie d’adulte, ils verront bien sûr mes limites, mes défauts, mes impasses. Mais ce sera d’enfant à mère, et non de femme à femme. C’est peut-être moins viscéral?

Je me rends compte aussi de la richesse potentielle de cette relation que je ne vivrai jamais, de femme à fille: voir une autre femme vivre sa vie de femme, accepter d’être bousculée dans sa féminité, et apprendre d’elle.


Le hasard m’a donné trois garçons. Avec sa bénédiction, je profite d’être la seule femme à la maison, dans toute sa solitude et dans toute sa majesté, d’être un peu borgne au royaume des aveugles.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Heloise Simonfrères