Godzilla
 

Batailles choisies #410

Oh non! Terreur! Angoisse! Horreur! Un monstre menace mes enfants et leurs jeux insouciants! 🦖


 

Fuyez! Fuyez! L’animal sanguinaire approche! Hurlez, hurlez, les enfants! Vous n’êtes plus en sécurité! Vos heures de jeux sont terminées, votre insouciance est brisée, votre joie n’a plus lieu d’être! Fuyez, fuyez! La terre tremble sous les pas lourds du monstre! L’entendez-vous qui vient? Il crie, hèle, hurle dans son propre langage! Fuyez, fuyez! Il va prendre la ville, tout détruire sur son passage, mettre à bas les immeubles, écraser les voitures, causer des dégâts innombrables et semer la terreur!

Les enfants, fuyez, fuyez, mettez-vous à l’abri! Laissez tout, abandonnez vos jouets, les choses matérielles n'ont pas d'importance, sauvez vos vies! Vite, le voilà qui s’approche!


Grand et Milieu jouent aux petites voitures. Ils ont passé la dernière demi-heure à organiser avec beaucoup de sérieux la ville qui leur sert de décor. Avec des dominos, ils ont fait un parking, places délimitées individuellement, coudes et recoins serrés, sens de circulation, entrée et sortie obligées. Deux tapis en tissu où sont dessinées des routes, des immeubles, des places de stationnement, entourent le parking de dominos. Une longue file indienne aux espacements parfaitement prévus, où attendent patiemment leur tour, des majorettes, des camions-poubelles, des camions-grues, des monster truck, des décapotables, fait tout le tour de leur petite ville. C’est, dit la mère soulagée, un jeu mignon, collaboratif, calme, qui peut durer des heures. C’est, dit la mère désolée, un jeu bien fragile quand on a un petit frère de treize mois qui a appris à marcher.   

Dernier est aux portes de la ville… Grand et Milieu le voient arriver la terreur dans les yeux. 


- Maman, maman, non! Dernier va tout détruire! Emmène-le en bas!

- J’essaie, les doux, mais il vous entend jouer alors il veut se joindre à vous. Je n’arrive plus à l’occuper à autre chose.


Dernier a repéré tous ces magnifiques jouets de couleurs qui n’attendent que d’être pris. Avec sa marche maladroite de bambin, il s’approche à grands pas, poum jambe gauche qui se lance, pam jambe droite qui suit sa jumelle, les deux genoux bien droits parce qu’on n’a appris à marcher qu’il y a deux semaines, c’est pas beaucoup. Cette raideur qui nous donne un air de dinosaure au milieu de la ville, on la compense avec l’allégresse d’une bouche qui crie des “da!da!” ou des “baaaaa!” joyeux et avec le regard pétillant visant le tapis de jouets rien que pour lui, c’est ça, mes frères adorés, je peux venir jouer aussi?    


- Maman! Il va prendre la ville! Non, non! hurlent les enfants! Maman, fais quelque chose!

- Non mais quand même, soyez gentils, les grands, avec votre petit frère. Il veut juste jouer avec vous.


Godzilla est arrivé. Une de ses pattes dégomme l’allée C du parking, faisant voler les dominos verts, rouges et jaunes de l’autre côté de la pièce. Son autre patte renverse trois majorettes d’un coup qui partent dans des tonneaux du meilleur effet cinématographique. Avec sa main et tout en criant “baaaaaaaa” le plus fort qu’il peut, il attrape le bord d’un des tapis et tire dessus, ce qui précipite le camion de pompiers et les voitures décapotables dans le précipice du parquet. Godzilla remarque sous peu, au bord de l’autre tapis, une tour de cubes et de blocks, haute, brillante, tremblante. Ignorant les supplications de ses aînés qui crient “non, pas la tour de contrôle, pas la tour de contrôle!” Godzilla le sans-cœur se précipite sur cette tour qui est haute comme lui. 


- Je sais, mes choux, désolée, il détruit ce que vous avez construit, mais il est mignon, quand même, non?


Godzilla est tombé sur son cul au milieu de la ville saccagée. Il nous regarde un à un avec un grand sourire, puis attrape un bloc couleur sang et, en criant joyeusement “dié!”, le porte haut comme l’étendard de ses capacités nouvelles.

Quel petit monstre tu fais, de détruire la ville de tes frères et d’avoir arraché le cœur de ta maman!


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Un mars, et ça repart!
 

Batailles choisies #409

Je reprends une vie de mère qui travaille en dehors de chez soi… et donc de mère stressée à l’idée que ses enfants soient malades. Sacré mois de mars, va! À peine arrivé, tu me mets déjà à genoux. 🗓


 

Il est une heure du matin. J’ai Dernier contre mon sein, qui tète pour s’hydrater et se rassurer. J’attends que le médicament fasse effet, que sa température baisse. J’ai déjà été réveillée deux fois par mon petit, fiévreux depuis hier.

C’est reparti.

C’est reparti pour les mauvaises nuits d’un bébé malade.

C’est reparti et on n’est que le premier jour du mois de mars.

Ah, mois de mars! Je t’ai attendu avec bonheur autant qu’appréhension! Tu es vraiment arrivé, hein, avec tes joies et tes alarmes?


Les chiliens ont une phrase toute faite pour parler de la période que je vis: “llegó marzo”, c’est-à-dire “mars est arrivé”. Mars, c’est le septembre français: c’est la rentrée scolaire, ce sont les courses pour les fournitures, c’est le rythme effréné d’un début d’année quand enfants et parents replongent avec difficulté, après les congés d’été, dans la course de fond d’une année scolaire normale. “Mars est arrivé”, ce sont aussi les coups de massue financiers qui enfoncent bim après boum les parents: vignette de la voiture, chère; inscriptions à l’école et à la crèche - trop chères; frais de rentrée, nouvelle paire de chaussures, sac à dos, un ou deux pulls quand même - chers, chers, chers. Surtout, pour moi, pour une mère qui travaille, mars, c’est le retour du pire du pire du stress du terrible du désespoir de sentir qu’on est dimanche soir, que son bébé à l’air malade et que demain, on nagera en pleine m… pardon, en plein mars.


Mars et c’est reparti pour les mains tremblantes qu’on pose sur les fronts chauds, sur les nuits blanches à soigner un bébé qui se sent mal, sur le dilemme de l’amener ou non à la crèche, sur le faux espoir, regarde, il va mieux, rapidement pulvérisé en non, il a de nouveau de la fièvre, sur les courses chez le médecin pour les ordonnances et les arrêts-maladie.

Ma maman part dans quelques jours. La grand-mère chilienne ne conduit pas.

Mars, c’est la fin des solutions de repli. 


Il est une heure du matin, le 1er mars, je perçois la lumière orangée du lampadaire de la rue, moqueuse, qui me susurre: ben oui, ma grande, mars est arrivé…

C’est reparti pour mars et ses angoisses.

C’est reparti pour mars et le cœur qui flanche quand on a un appel manqué de la crèche.

C’est reparti pour faire comme si les enfants en bas âge et un travail normal étaient compatibles.

C’est reparti pour le cortège de mauvaises nuits, pour les réveils qui sonnent à 7 heures du matin alors qu’on a à peine dormi.

C’est reparti pour le manque d’énergie, pour le funambulisme sur la corde de sa patience et sur le fil de son sommeil.


Vous n’auriez pas un Mars?

Parce que là, ça y est, c’est mars et ça repart…


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