À la bibliothèque avec mes enfants
 

Batailles choisies #458

Y a-t-il quelque chose de plus choupi et de plus révélateur qu’un enfant qui emprunte un livre à la bibliothèque? 💿


 

Tous les lundis, Milieu ramène à la maison un livre qu’il a emprunté à la bibliothèque de l’école. Je suis toujours ravie de le découvrir avec lui et je suis impressionnée par son choix, qui me semble si juste. Il a ainsi emprunté un Tchoupi qu’on n’avait pas à la maison; un livre de découverte sur les fourmis, insectes qui l’intéressent depuis plusieurs années; un d’une chanson qu’il aime bien, “Mon âne, mon âne a bien mal à la tête”, que nous avons chanté avec beaucoup de sérieux et d’application. Mais ce sont ses deux derniers choix qui m'ont fait craquée: puisqu’on va bientôt passer quelques semaines de vacances en France, Milieu a emprunté “Trotro va à Paris” une semaine et “Les avions” la suivante. 

J’adore que dans la petite tête de mon fils terrible du milieu papillonnent ses joies, ses savoirs, ses questions, pour lesquelles il cherche à butiner la réponse dans un livre. J’adore aussi que tout ce qu’on dit à la maison, et dont je suppose qu’il ne comprend pas grand chose, est en réalité passé dans la moulinette de son cerveau. Il va aller en France et sans doute voir la Tour Eiffel? Il emprunte donc un livre qui parle de Paris. Il va prendre l’avion? Il se renseigne sur ces grandes machines volantes dont on lui a tant parlé et dans lesquelles il paraît qu’on peut regarder la télévision. Je le trouve trop chou, mon fils. J’ai le sentiment de le connaître un peu mieux, d’avoir accès à une fenêtre s’ouvrant, tous les lundis, sur sa personnalité et son caractère.

Ça me rappelle que quand mon aîné était en petite section, sa tête fonctionnait d’une toute autre manière. À cette époque lointaine où le Covid n’existait pas, les enfants se rendaient à la bibliothèque de maternelle avec leurs parents. Toutes les semaines, donc, j'accompagnais Grand dans le choix de ses nouveaux livres. Enfin… “nouveaux”. Les enfants pouvaient emprunter deux documents: un livre et un CD. Grand, pour les livres, choisissait en général des personnages familiers ou des livres d’une même collection, des Tchoupi, des Trotro, des Giboulées. Pour les CD en revanche, mon fils avait une idée fixe. Il avait emprunté une des premières fois de l'année un CD intitulé L’Alphabet, CD avec 27 chansons, le morceau inaugural avec toutes les lettres de l’alphabet puis une chanson par lettres, qu’on écoutait dans la voiture en allant et revenant de la crèche. Ce CD était en deux exemplaires à la bibliothèque. Une semaine, il rendait l’exemplaire 1 du CD et empruntait l’exemplaire 2. La semaine suivante, il rendait l’exemplaire 2 et empruntait l’exemplaire 1. Toute l’année, nous sommes restés sur cette rotation. Quand on arrivait devant la bibliothécaire, après avoir fait patiemment la queue, quand mon aîné marmonnait un “bonjour” timide, en tendant le CD de l’Alphabet qu’il venait rendre, quand après les quelques bip d’usage, la gentille dame demandait à mon fils ce qu’il allait emprunter cette semaine et qu’elle prenait en main son choix, l’autre CD de l'Alphabet donc, elle et moi réprimions un sourire ou, parfois, quand ce n’était pas possible parce que décidément c’était trop drôle, nous riions de bon cœur.     


Les livres sont une vraie porte d’entrée vers l’esprit et la personnalité de mes garçons, même tout petits, mon aîné ayant toujours eu davantage besoin d’un livre-doudou, quand mon deuxième préfère la découverte, la nouveauté, dans un esprit d’autonomie. Au milieu des galères de la parentalité, on a la chance d’être aux premières loges des progrès de ces petites personnes, de les observer et de pouvoir les lire comme un livre ouvert.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Les obligations
 

Batailles choisies #457

Avoir des enfants, c’est être pris dans une toile d’obligations, d’impondérables et d’impossibilités - toutes ces choses qui font qu’à la question “tu serais dispo pour un café?”, je réponds en sueurs froides. 😰


 

Un camarade de thèse de mon mari est de passage en Amérique du Sud. Comme tous les vadrouilleurs, il a pris quelques semaines pour “faire” plusieurs pays, Bolivie, Argentine, Pérou s’il a le temps, Uruguay et Chili. C’était un garçon que je trouvais sympathique, dans le style thésard scientifique, plein de certitudes et ouvert à la fois, curieux et à l’ouest. Il nous propose de nous retrouver pour un resto rapide dans le centre de Santiago, où il est logé. 

Oui, un resto.

Oui, rapide.

Oui, dans le centre.

Oui, “avec tes enfants, ça me fera super plaisir de les connaître”.

Oui, un resto rapide en plein centre-ville en plein hiver avec nos trois enfants en bas-âge. 

Finalement, il n’était pas si sympathique, ce camarade.

La perspective de la galère qu’il propose me fait prendre un manège que je connais bien, avec ses montées dans les récriminations contre les gens qui n’ont pas de gosses et ne savent clairement pas ce qui est humainement faisable pour des parents avec des petits humains, et des bas de culpabilité où je me dis que je suis complètement bloquée dans ma vie et que je n’arrive pas à sortir de la période galère des enfants petits. Eh ben on a beau être docteur, on ne comprend pas ce qu’est un bébé, hein. En même temps, c’est peut-être de ma faute, je m’emprisonne dans des horaires de sieste, dans des impondérables de goûters, dans des obligations qui me font refuser toute sortie, toute opportunité qui me ferait sortir de l’ordinaire… faut pas t’étonner après, si tu trouves que tu ne fais jamais rien.    

Je passe la matinée à valser de l’un à l’autre des extrêmes, à me demander comment je vais faire, quelle est la meilleure heure pour partir, rentrer, manger, dormir, à chercher des choses pour occuper mes enfants dans le centre quitte à contorsionner nos emplois du temps. Et puis, au milieu de ces remous, finit par se figer une image, une scène, que j’imagine nettement - ou plutôt, revis: je me vois, dans un boui-boui trop éclairé, courir après mes enfants pour laisser à mon mari un temps de “comment vas-tu depuis tout ce temps” ; je vois Grand manger salement avec les doigts son assiette de frites en nous interrompant constamment pour savoir quand arrive le dessert ; je vois mon mari prendre le relai avec Dernier qui grimpe sur toutes les chaises inoccupées qu’il trouve pour que je puisse avaler le contenu de mon assiette en vitesse ; je vois Milieu dédaigner ce qu’il a commandé et zyeuter l’assiette du camarade ; je me vois ramasser les serviettes de table qu’a jetées Dernier qui s’amuse décidément follement mais s’ennuie déjà ; je m’entends essayer de faire la conversation en me justifiant du désordre pardon, ce n’est pas facile avec trois enfants dans ce genre d’endroits, le tout en me sentant terriblement jugée alors qu’on m’a mise dans une situation frelaté ou, surprise surprise, on frelate.

À midi, mon mari et moi recevons un message du camarade sympathique (ça dépend du point de vue, donc) disant qu’il va voir pour l’horaire, qu’il n’est pas encore sûr pour le resto, quelque chose qui se veut ouvert mais que je suis assez vieille pour lire pour ce que c’est: l’indication d’une porte qui se ferme. Je me mets un peu à sa place, alors, en sortant la tête du fond de mon gouffre familial, et me dis: en même temps, est-ce lui qui s’est imposé cette obligation? Qui se sent obligé de voir son ami et sa famille, parce qu’il a publié sur Facebook qu’il partait bourlinguer au Chili, parce qu’il a demandé à mon mari trois recommandations de choses à voir dans la capitale et qu’il se sent redevable? Qui n’a aucune envie de planifier quoi que ce soit, ni de se bloquer alors qu’il n’est que de passage avant son départ pour l’Uruguay? Tout le maelstrom que la simple question “on se retrouve à quelle heure” avait créé se calme: on est tous dans un réseau d’obligations et on peut comprendre aussi son côté: nous n’étions pas amis, après tout. 

Ce quasi, ce raté, me soulage autant qu’il me laisse en bouche un goût amer. Quoi? Mes magnifiques enfants, adorables, attachants et bien élevés (ça dépend du point de vue) sont les obligations pénibles d’autres personnes? Qui ne voudrait pas rater une visite de musée pour s’extasier sur mes têtes blondes? 

Le couperet tombe sous forme de message: finalement, le camarade a dû changer son vol et partira tôt. Il ne peut pas nous voir, vraiment, c’est dommage!


Allez, va, Brutus, va vadrouiller, tu ne sais pas ce que tu perds. De toute façon, je reviens à ma petite vie, pas de temps à perdre, il faut que je vois comment organiser le week-end, sinon, on va devenir fous, c’est obligé.


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