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Choubidou
 

Batailles choisies #688

Milieu s’essaie à la lecture. Et c’est chou…bi…dou. 🇩🇯


 

Grand lit un livre dans sa chambre avec son père. Je suis avec Dernier sur son lit, à regarder avec lui Les engins de chantier, l’incontournable, le classique qu’il a emprunté pour la septième fois de l’année à la bibliothèque. Milieu, en bon enfant du milieu, confortablement installé sous sa couette, lit tout seul.

Le seul hic, c’est qu’il ne sait pas lire.

On ne dirait pas, pourtant, à le voir ainsi, regardant d’un air concentré les pages, les tournant délicatement, passant le temps nécessaire sur les illustrations, regardant toutes ces lettres soit avec le sérieux d’un universitaire lisant un pavé avec aisance, soit avec la curiosité d’un entomologiste devant un insecte rare.

Vais-je trouver que c’est un doux moment et vais-je trouver mes enfants choubidous, surtout mon Milieu, qui lit alors qu’il ne sait pas lire?


Oh, mais ce serait oublier ma super copine, Culpabilité, qui me suit comme mon ombre et tire plus vite que Lucky Luke, évidemment! Culpabilité qui me casse mon moment où je pourrais trouver adorable cet air sérieux de mon Milieu, celle qui me dit, tu vois, il a six ans, il rentrera en CP à la rentrée prochaine et tout ce qu’il veut, c’est apprendre à lire, mais comme il est coincé entre son chouinard de cadet et sa sangsue d’aîné (ou l’inverse?), et bien, je ne peux pas lui consacrer une seule minute, le soir, pour l’initier à la lecture. Et oui, je sais, super copine ou terrible commère, je sais bien que Milieu, si j’avais plus de temps à lui donner, eh bien, il parlerait mieux, il aurait un langage plus fluide. C’est mon manque d’attention envers lui, comparativement à ses frères, qui fait que sa syntaxe est encore si basique et qu’il ne sait pas lire alors qu’il est prêt, qu’il demande!

Moi, je culpabilise, bien sûr. Je suis mère - quoi de neuf?

Milieu néanmoins en a pris son parti. Le soir, il se joint à l’un de ses frères ou bien feuillète seul un bouquin en sachant que sa douce vengeance viendra… dès le lendemain matin.


Il sait que son moment à lui, c’est le matin. Premier lever, il va chercher son père ou moi pour qu’on lui lise quelques pages au saut du lit, dès que l’aube pointe son nez. C’est le moment pour profiter que ses frères dorment encore, le moment pour profiter de  nous.

Aujourd’hui, les résultats du jeu de lits musicaux de la nuit d’hier me cueillent quand j’ouvre les yeux: je suis seule dans le lit de Dernier, Milieu est bien sûr le premier levé et est venu se glisser contre moi sous les draps. Après quelques secondes de câlins, il me demande de lui lire un livre. 

- Bien sûr, mon chou, réponds-je d’une voix encore pâteuse.

- L’atlas des aventuriers! Je veux lire la page des animaux venimeux!

- Bien sûr, mon choubidou.

- Ah, non, d’abord, les drapeaux.

Milieu se met à regarder la page avec les drapeaux. Sans penser à rien de particulier, je lui propose de lire les noms des pays écrits en dessous. Je pose mon index sur le nom des pays et découvre chacun des sons qui composent le mot, un par un, doucement, en aidant mon fils à les prononcer: I-t-a-l-ie. 

Italie! Bravo, mon Milieu!

S-e-r-b-ie.

F-in-l-an-de (un peu plus dur, avec les nasales).

Milieu comprend rapidement le système, s’essaie sur toute la page des drapeaux européens puis américains, parvient à lire sans l’aide de mon ongle pour séparer les sons. Je fonds d’amour et de fierté, de le voir concentré, attentif, réussissant à lire tout seul! Je suis si heureuse! Dans ce petit moment, se développent, s’épanouissent toutes les qualités de mon Milieu que j’aime: discret, futé, persévérant. C’est chaud, c’est chou.


Certains pays sont trop difficiles: Bosnie-Herzégovine, ouf, pas gagné. Mais Milieu tente, ne se décourage pas, réussit avec un petit coup de pouce. Il termine les deux pages et veut continuer sur cette belle lancée. On passe aux pays d’Afrique, Maman, s’il te plait!

- Celui-là, de drapeau, je vais dire, m’informe-t-il avec ambition et fierté.

Il a jeté son dévolu sur “Djibouti”. 

Je repose mon doigt sur le nom pour l’aider, faisant apparaître un à un les graphies des sons qui composent ce nom, mais “d” et “j”, plus ce “i”, là, le “b” que Milieu prend souvent pour un “d” et un “ou”... tout ça fait une sacrée montagne:

Ch..

Ou…

B…

I…

Alors, sûr de sa lecture, même si aucun des sons n’est correct pour l’heure, il exulte parce qu’il a reconnu un mot qu’il a déjà entendu et qu’il faut bien deviner, parfois, quand on ne comprend pas…

Il crie donc: Choubidou!

Puis se rend compte tout de suite que non, ça ne peut pas être ça, parce que le pays de Choubidou, il n’en a décidément jamais entendu parler. 

Lui et moi éclatons de rire face à cette tentative noble mais ratée.


Ça, c’était Djibouti, mais toi, tu es vraiment Choubidou.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Mes trois petits cochons
 

Batailles choisies #628

Reprise sur mesure d’un conte célèbre, racontée pour l’édification morale des jeunes enfants et particulièrement utile lorsque le dernier de mes petits cochons ne veut pas dîner. 🐖


 

Il était une fois trois petits cochons. Le premier petit cochon s’appelait Grand Cochon. Le deuxième s’appelait Moyen Cochon et le troisième s’appelait Petit Cochon. Les trois petits cochons vivaient ensemble dans une petite maison avec un petit jardin.


Dernier a arrêté de pleurer. Il me regarde avec des yeux intéressés. Il a ouvert la bouche suffisamment grande pour que j’en profite pour lui fourrer une bouchée de pâtes dedans. Ouf. Et de une. Ça a marché, le coup de l’histoire.


Grand Cochon était l’aîné des trois cochons. Grand Cochon adorait faire du dessin, de la céramique, des colliers de perles et des petits objets en perles à repasser. Il adorait tellement que sa chambre était remplie de perles, de colliers, de créations en papier, d’origamis, de dessins au feutre, aux crayons de couleurs, à la gouache, à la peinture, à la craie, à la cire et que le sol de sa chambre était aussi dangereux qu’une patinoire vu qu’y étaient disséminées des perles, des billes, des crayons ronds, brefs, que des objets sur lesquels on pouvait facilement glisser pour se prendre une belle gamelle et terminer les fesses par terre.   


Une deuxième cuillère passe la barrière des dents et de la mauvaise humeur de Dernier, en même temps que Grand, plutôt maussade depuis notre retour à la maison, se fend d’un large sourire, en se reconnaissant dans ce cochon aimant enfiler des perles - littéralement. L’ambiance du dîner évolue doucement, perd ses airs de première guerre mondiale et reprend les couleurs d’un bon moment. Grand tape des mains et demande la suite.


Moyen Cochon était le cochon du milieu. Moyen Cochon aimait le foot. Il aimait vraiment le foot. Et aussi les maillots de foot. Et aussi les ballons de foot. Et aussi les chaussures de foot. Et aussi les shorts de foot. Et les matchs de foot. Et les joueurs de foot. D’ailleurs, dans son placard, il n’avait que des affaires de foot! Plus une seule place pour la moindre chaussette basse, pas de t-shirt tout simple! Non! On ouvrait le placard et on croyait que le placard vous vomissait du foot dessus! 


Milieu sourit à son tour, Grand rit ouvertement, Dernier reprend un cuillère de pâtes. Mes enfants n’ont pas le droit de regarder la télé en semaine. Ils ne la regardent jamais non plus à l’heure du repas. Décisions auxquelles je tiens et que je regrette tout autant, quand je vois à quel point les repas sont tranquilles et nourrissants (ou plutôt bourratifs, au sens premier du terme) chez Abuelita, où les enfants hypnotisés par l’écran de toutes les couleurs mangent sans même s’en apercevoir. Mais alors, s’il n’y a pas de télé, peut-être qu’une histoire peut avoir le même effet? Allez, il a déjà mangé trois cuillères sans se plaindre, je tente le tout pour le tout, pousse-vous les Pat Patrouilles, bienvenue aux cochons du Chili!   


Quant à Petit Cochon, il avait une collection de camions. Mais une collection, que vous n’arriveriez même pas à vous imaginer! Des camions de tous les types, pas seulement des grands et des petits, des rouges et des bleus, non! Des types de camions de ceux qui peuvent remplir des pages d’encyclopédie, des camions-toupies, des dumpers, des camions-grues, des dépanneuses lourdes, des camions- citernes, des camions frigorifiques, des semi-remorques, les grumiers, les camions-bennes, les bennes céréalières…


Dernier, trop heureux d’étaler son savoir sur cette question, accepte deux bouchées de pâtes de plus, en criant, avec son petit langage de petit enfant, des noms de camions, camion-poubelle, camion-toupie, camion-glue, camion-ciderne! Entre chaque exclamation, une bouchée de pâtes passe de mon assiette pleine d’inquiétudes à sa bouche pleine de soulagement.   


Le problème, le problème, voyez-vous, c’est qu’entre les colliers de perles, les maillots de foot, les camions-poubelles, toupies, citernes, grues, grumiers, il n’y avait plus de place dans la maison! Tous les placards étaient pleins et puis les cochons, Grand Cochon, Moyen Cochon et Petit Cochon, se disputaient tout le temps. Même s’ils n’aimaient pas jouer avec les jouets des autres, ils voulaient toujours ce qu’avait leur frère! 


L’histoire des trois petits cochons suit son cours, le dîner suit son cours aussi. On y parle de construction de maison, d’aménagement de grands placards, de garages. On y souffle, on y crie, on y rit. Il faut tenter le tout pour le tout et arriver au bout du conte et des pâtes. Je suis fatiguée, mais je préfère souffler et souffler et souffler, jusqu’à ce que les pâtes refroidissent, que la paille s’envole et que Grand Cochon se précipite chez son frère Moyen Cochon qui a terminé de construire sa maison en bois et y a rangé toutes ses pièces de collection du meilleur tifoso de la planète. 


Alors Grand Cochon fourre toutes ses perles dans ses poches, Moyen Cochon met ses maillots les uns sur les autres et ses douze shorts et ses quinze paires de chaussettes et, maintenant qu’il ressemble vraiment à un cochon, lui qui est d’habitude maigrichon comme une chèvre, les deux frères se précipitent chez Petit Cochon, qui leur ouvre gentiment la porte. Les deux grands cochons entrent et glissent et se fracassent les genoux sur les dizaines de camions qui jonchent le sol, des perles volent, des ballons passent dans la pièce et par la fenêtre. Mais, ensemble, ils ont réussi à fermer la porte et à laisser dehors le loup qui, pourtant, est insistant. 


Toc

Toc

Toc

  

Les enfants sont scotchés, la bouche ouverte - ce qui m’arrange. Je mets toute l’énergie qu’il me reste à souffler et souffler et souffler, tellement que le loup s’enfuit et que les cochons, depuis la fenêtre du deuxième, lui lancent des perles, des ballons de foot (les moins gonflés) et des roues de camions.


Les garçons adorent la fin de cette histoire, ils rient à gorge déployée. Grand éclate de rire, laissant voir dans sa bouche hilare des pâtes à moitié mangées. Milieu postillonne du yaourt en pouffant. Dernier, hypnotisé par mon imitation du loup asthmatique qui souffle et s’enfuit piteusement, prend à pleines mains une poignée de pâtes, l’enfourne dans sa bouche et invective le loup en parlant la bouche pleine. Ils sont dégoûtants, mais nourris. Je suis épuisée, j’ai été chassée à coups d’objets ronds et de rires, mais j’ai réussi.   


Alors, à la fin de l’histoire, les trois petits cochons décident de construire ensemble une grande maison, d’ajouter un deuxième étage pour que chacun puisse avoir la place de mettre son bazar et des grands placards pour ranger les dessin, les objets de céramique, les colliers de perles, les petits objets en perles à repasser, les feutres, les crayons de couleurs, les gouaches, les peintures, les craies, les crayons de cire, les maillots de foot, les ballons de foot, les chaussures de foot, les shorts de foot, les petites cartes de joueurs de foot, les camions-toupies, les dumpers, les camions-grues, les dépanneuses lourdes, les camions- citernes, les camions frigorifiques, les semi-remorques, les grumiers, les camions-bennes, les bennes céréalières. Et pour tout ça, il faut des grands placards.     


Milieu a les doigts verts de sauce.

Grand a mis un tiers de ses pâtes sur la table.

Dernier a de la compote jusque dans les oreilles. 

Mais mes gros cochons ont dîné.


Ils vécurent heureux et terminèrent leur dîner, avant de se fâcher à mort pour un camion-poubelle, un porte-clé en perles et le meilleur ballon de foot.


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