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Scénarios catastrophe
 

Batailles choisies #637

L’imagination vive d’une mère inquiète pour son fils choupi mais pas très obéissant: cocktail molotov, insomnie gagnante. 🍿


 

Surtout, ne pense à rien.

Surtout, ne pense à rien.

Surtout, ne pense à rien de grave.


C’est l’heure de dormir, j’ai même un peu dépassé mon horaire de coucher. 

Allez, dodo.

Je suis fatiguée, comme toujours.

Allez, dodo.

Milieu et Grand partent dans quelques jours pour un week-end avec leur Tata, à Paris, ça va être exceptionnel, une expérience géniale mais… Grand, bon, il est coopératif. Milieu… il faut que je le prévienne bien, que j’aie une conversation sérieuse, pour éviter qu’il ne se perde, qu’il ne se mette en danger, qu’il … pire encore.

Allez, dodo.


Demain. 

Demain, je lui parle.

Demain, je retrouve les bracelets où écrire les contacts d’urgence.

Demain, je dois bien le prévenir des dangers, lui dire ce qu’il faut faire dans le pire des cas.

Allez, maintenant, dodo.  


Surtout, ne pense à rien.

Surtout, ne pense à rien de grave.

Surtout, ne pense à… 


Trop tard.

Trop tard, évidemment, puisque l’alerte s’est transformée en inquiétude légère.

Et si Milieu n’écoute pas les instructions?

Et si, comme hier, il traverse la route sans regarder à gauche?

Ah, mon Milieu, il est adorable, il est chou, vraiment, c’est un p’tit malin, mais… il n’écoute pas. Il est distrait. Il ne lit pas bien le danger. Il ne fait pas attention.

Et si Milieu traverse la rue au moment où passe un vélo? Une moto? Un bus?

Trop tard.

Trop tard, évidemment, puisque l’inquiétude s’est transformée en angoisse totale.


Trop tard, je vois déjà Milieu renversé par un bus parce qu’il avait le nez en l’air et qu’il est descendu sur la chaussée sans prendre garde au danger.

Trop tard, je vois déjà Milieu, en pleurs, perdu parmi une foule dense et oublieuse, ne sachant comment ni à qui demander de l’aide, ne réussissant pas, sous le coup de la panique, à parler français, incapable de dire ce qu’il lui arrive, ni comment s’appelle sa Tata.

Trop tard, je vois déjà Milieu qui tombe du haut de la tour Eiffel parce que la vue était si belle et que le parapet laisse passer les enfants maigrichons trop curieux.

Trop tard, je vois déjà Milieu faire confiance à la mauvaise personne, donnant la main à un Monsieur trop gentil, montant dans une voiture qui l’amènera à sa perte. 

Trop tard, je vois déjà une demande de rançon me parvenant pour mon fils, mots formés avec des lettres découpées dans des magazines, morceau d’oreille ou de doigt ensanglanté, qui me tire des cris d’horreur. 

J’ai donc regardé trop de séries, certes. 

Toujours est-il qu’il est trop tard pour dormir, trop tard pour confier sereinement Milieu à sa tante, trop tard aussi pour annuler le week-end tant promis, trop tard pour apprendre à mon fils la prudence, trop tard, trop tard.


Et il est désormais tard, très tard. Je tourne et tourne dans le lit, loin du dodo tant espéré, pendant que je tourne et tourne dans ma tête les pires pensées, les images d’horreur, pendant que je ne me trouve pas assez claire sur les instructions, pas assez prévoyante, pas assez bonne mère

Comment on fait pour arrêter la spirale des scénarios catastrophe?

Prendre des résolutions.

Demain, il faut que je repasse en revue les différents scénarios, et ce qu’il faut que Milieu fasse, sache, dise: - Milieu, si tu es perdu, tu dois faire quoi? Répète ce que je t’ai dit! - Je dois trouver une dame, je dois lui dire que j’ai perdu ma tata et qu’elle doit appeler le numéro sur mon bracelet. - Milieu, si tu es perdu et que quelqu’un te dit que ta maman l’a envoyé pour t’aider, répète ce que je t’ai dit! - Je ne dois partir avec personne, je dois demander à ce qu’on appelle la police et attendre que des dames et des messieurs en uniforme arrivent.  

Je tente de mitiger mon inquiétude, bon, je vais peut-être y arriver… mais en attendant, comment on fait?

Pas pour Milieu. 

Comment on fait pour dormir, quand son cœur est pétri de peine, quand son cerveau est noyé d’angoisses, quand sa gorge est comprimée de terreur?

Comment on fait?

On engage un co-scénariste.


Mari a aussi du mal à trouver le sommeil, pour des raisons que je ne connais pas. À peine ai-je remarqué qu’il a les yeux ouverts que je décharge ma conscience et mon barda

- Chéri, tu crois que ça va aller, Milieu, à Paris? Je veux dire… Grand, pas de souci. Mais Milieu… il n’écoute rien, il traverse sans regarder, il fait son têtu, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée qu’il y aille… tu imagines, s’il lui arrive quelque chose?

- Mais tu sais, quand il va à Santiago avec ma mère, ça se passe très bien. Il écoute, il donne la main, non, vraiment, aucun problème. Il fait son kakou ici, mais quand il y a un danger, un risque, il est beaucoup plus obéissant. 


Heureusement que mon co-scénariste trouve les films catastrophe parfaitement exagérés.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Mes trois petits cochons
 

Batailles choisies #628

Reprise sur mesure d’un conte célèbre, racontée pour l’édification morale des jeunes enfants et particulièrement utile lorsque le dernier de mes petits cochons ne veut pas dîner. 🐖


 

Il était une fois trois petits cochons. Le premier petit cochon s’appelait Grand Cochon. Le deuxième s’appelait Moyen Cochon et le troisième s’appelait Petit Cochon. Les trois petits cochons vivaient ensemble dans une petite maison avec un petit jardin.


Dernier a arrêté de pleurer. Il me regarde avec des yeux intéressés. Il a ouvert la bouche suffisamment grande pour que j’en profite pour lui fourrer une bouchée de pâtes dedans. Ouf. Et de une. Ça a marché, le coup de l’histoire.


Grand Cochon était l’aîné des trois cochons. Grand Cochon adorait faire du dessin, de la céramique, des colliers de perles et des petits objets en perles à repasser. Il adorait tellement que sa chambre était remplie de perles, de colliers, de créations en papier, d’origamis, de dessins au feutre, aux crayons de couleurs, à la gouache, à la peinture, à la craie, à la cire et que le sol de sa chambre était aussi dangereux qu’une patinoire vu qu’y étaient disséminées des perles, des billes, des crayons ronds, brefs, que des objets sur lesquels on pouvait facilement glisser pour se prendre une belle gamelle et terminer les fesses par terre.   


Une deuxième cuillère passe la barrière des dents et de la mauvaise humeur de Dernier, en même temps que Grand, plutôt maussade depuis notre retour à la maison, se fend d’un large sourire, en se reconnaissant dans ce cochon aimant enfiler des perles - littéralement. L’ambiance du dîner évolue doucement, perd ses airs de première guerre mondiale et reprend les couleurs d’un bon moment. Grand tape des mains et demande la suite.


Moyen Cochon était le cochon du milieu. Moyen Cochon aimait le foot. Il aimait vraiment le foot. Et aussi les maillots de foot. Et aussi les ballons de foot. Et aussi les chaussures de foot. Et aussi les shorts de foot. Et les matchs de foot. Et les joueurs de foot. D’ailleurs, dans son placard, il n’avait que des affaires de foot! Plus une seule place pour la moindre chaussette basse, pas de t-shirt tout simple! Non! On ouvrait le placard et on croyait que le placard vous vomissait du foot dessus! 


Milieu sourit à son tour, Grand rit ouvertement, Dernier reprend un cuillère de pâtes. Mes enfants n’ont pas le droit de regarder la télé en semaine. Ils ne la regardent jamais non plus à l’heure du repas. Décisions auxquelles je tiens et que je regrette tout autant, quand je vois à quel point les repas sont tranquilles et nourrissants (ou plutôt bourratifs, au sens premier du terme) chez Abuelita, où les enfants hypnotisés par l’écran de toutes les couleurs mangent sans même s’en apercevoir. Mais alors, s’il n’y a pas de télé, peut-être qu’une histoire peut avoir le même effet? Allez, il a déjà mangé trois cuillères sans se plaindre, je tente le tout pour le tout, pousse-vous les Pat Patrouilles, bienvenue aux cochons du Chili!   


Quant à Petit Cochon, il avait une collection de camions. Mais une collection, que vous n’arriveriez même pas à vous imaginer! Des camions de tous les types, pas seulement des grands et des petits, des rouges et des bleus, non! Des types de camions de ceux qui peuvent remplir des pages d’encyclopédie, des camions-toupies, des dumpers, des camions-grues, des dépanneuses lourdes, des camions- citernes, des camions frigorifiques, des semi-remorques, les grumiers, les camions-bennes, les bennes céréalières…


Dernier, trop heureux d’étaler son savoir sur cette question, accepte deux bouchées de pâtes de plus, en criant, avec son petit langage de petit enfant, des noms de camions, camion-poubelle, camion-toupie, camion-glue, camion-ciderne! Entre chaque exclamation, une bouchée de pâtes passe de mon assiette pleine d’inquiétudes à sa bouche pleine de soulagement.   


Le problème, le problème, voyez-vous, c’est qu’entre les colliers de perles, les maillots de foot, les camions-poubelles, toupies, citernes, grues, grumiers, il n’y avait plus de place dans la maison! Tous les placards étaient pleins et puis les cochons, Grand Cochon, Moyen Cochon et Petit Cochon, se disputaient tout le temps. Même s’ils n’aimaient pas jouer avec les jouets des autres, ils voulaient toujours ce qu’avait leur frère! 


L’histoire des trois petits cochons suit son cours, le dîner suit son cours aussi. On y parle de construction de maison, d’aménagement de grands placards, de garages. On y souffle, on y crie, on y rit. Il faut tenter le tout pour le tout et arriver au bout du conte et des pâtes. Je suis fatiguée, mais je préfère souffler et souffler et souffler, jusqu’à ce que les pâtes refroidissent, que la paille s’envole et que Grand Cochon se précipite chez son frère Moyen Cochon qui a terminé de construire sa maison en bois et y a rangé toutes ses pièces de collection du meilleur tifoso de la planète. 


Alors Grand Cochon fourre toutes ses perles dans ses poches, Moyen Cochon met ses maillots les uns sur les autres et ses douze shorts et ses quinze paires de chaussettes et, maintenant qu’il ressemble vraiment à un cochon, lui qui est d’habitude maigrichon comme une chèvre, les deux frères se précipitent chez Petit Cochon, qui leur ouvre gentiment la porte. Les deux grands cochons entrent et glissent et se fracassent les genoux sur les dizaines de camions qui jonchent le sol, des perles volent, des ballons passent dans la pièce et par la fenêtre. Mais, ensemble, ils ont réussi à fermer la porte et à laisser dehors le loup qui, pourtant, est insistant. 


Toc

Toc

Toc

  

Les enfants sont scotchés, la bouche ouverte - ce qui m’arrange. Je mets toute l’énergie qu’il me reste à souffler et souffler et souffler, tellement que le loup s’enfuit et que les cochons, depuis la fenêtre du deuxième, lui lancent des perles, des ballons de foot (les moins gonflés) et des roues de camions.


Les garçons adorent la fin de cette histoire, ils rient à gorge déployée. Grand éclate de rire, laissant voir dans sa bouche hilare des pâtes à moitié mangées. Milieu postillonne du yaourt en pouffant. Dernier, hypnotisé par mon imitation du loup asthmatique qui souffle et s’enfuit piteusement, prend à pleines mains une poignée de pâtes, l’enfourne dans sa bouche et invective le loup en parlant la bouche pleine. Ils sont dégoûtants, mais nourris. Je suis épuisée, j’ai été chassée à coups d’objets ronds et de rires, mais j’ai réussi.   


Alors, à la fin de l’histoire, les trois petits cochons décident de construire ensemble une grande maison, d’ajouter un deuxième étage pour que chacun puisse avoir la place de mettre son bazar et des grands placards pour ranger les dessin, les objets de céramique, les colliers de perles, les petits objets en perles à repasser, les feutres, les crayons de couleurs, les gouaches, les peintures, les craies, les crayons de cire, les maillots de foot, les ballons de foot, les chaussures de foot, les shorts de foot, les petites cartes de joueurs de foot, les camions-toupies, les dumpers, les camions-grues, les dépanneuses lourdes, les camions- citernes, les camions frigorifiques, les semi-remorques, les grumiers, les camions-bennes, les bennes céréalières. Et pour tout ça, il faut des grands placards.     


Milieu a les doigts verts de sauce.

Grand a mis un tiers de ses pâtes sur la table.

Dernier a de la compote jusque dans les oreilles. 

Mais mes gros cochons ont dîné.


Ils vécurent heureux et terminèrent leur dîner, avant de se fâcher à mort pour un camion-poubelle, un porte-clé en perles et le meilleur ballon de foot.


Batailles en vrac⭣

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