Sonic
 

Batailles choisies #542

Je suis en week-end à la mer. Portée par mon amour maternel, la sérénité du lieu et une naïveté confondante, je décide de regarder avec mes aînés un dessin animé qu’ils aiment bien. 🦔


 

Je fais la chasse au temps d’écran, de mon mieux. Je ne réussis pas le zéro écran. Je me sers de la boîte à couleurs hypnotiques comme d’un outil de survie, pour ma santé mentale et ma santé tout court. Quand je n’ai pas d’autre solution, quand je n’ai pas eu de temps de sieste, de temps de jeux calmes, d’heure libre dans la journée, c’est une manière d’être à moi, une et entière, au lieu d'être éparpillée, d’être éclatée, transformée en cerbère rantanplan, tête une de donneuse de câlins, tête deux d’apporteuse d’eau et tête trois de range-jouets. Les dessins animés, certains éducatifs, d’autres acceptables, d’autres parfaitement idiots, m’offrent une bouffée d’air, sont un trou dans mon espace-temps de tous les jours: pendant une heure ou deux, je ne suis plus mère. Je ne suis plus la mère de quelqu’un, encore moins celle de trois garçons. 

Bref, c’est l’heure de la télé. Avant la tranquillité, il faut que Grand et Milieu se mettent d’accord sur le dessin animé, non, pas ce film, non, j’ai déjà vu, non j’aime pas. Après une âpre négociation, mes garçons se mettent d’accord sur Sonic. D’habitude je fuis l’écran et vais me réfugier vers mon temps pour moi, mais c’est un doux week-end, et je me sens coupable de préférer être seule que de partager un moment avec mes fils. Bon, les enfants, ça vous dit, je regarde avec vous?

Grand acquiesce, Milieu exulte et réclame, tout heureux, que je m’assoie juste à côté de lui. 

Sonic, donc… Dessin animé qui entre d’un coup d’un seul dans la catégorie des “parfaitement idiots", de ceux qui m’inondent d’une culpabilité instantanée, qui me font plisser une moue de dégoût envers moi-même dès que j’appuie sur la télécommande.


Qu’est-ce que c’est que ce truc? Bougent avec la lourdeur de l’animation, en faisant des ha et de ho de kung-fu du dimanche, des sortes de renards ayant enfilé leurs plus propres costumes de gymnastique. Certains d’entre eux ont des oreilles de beagle, pendant le long de très grands yeux. Dans mes lointains souvenirs d’enfance, ce personnage était un hérisson, mais sans doute, n’était-ce qu’une des multiples illusions d’une période embellie par la nostalgie. Milieu, trop heureux de cet honneur d’avoir sa maman et la télé en même temps, se colle contre moi, m’inonde de sa douce chaleur, de son odeur de petit garçon coquin, que j’adore. Je caresse ses avant-bras, passe mes doigts dans ses cheveux en bataille que je n’arrive jamais à coiffer et qui, maintenant que j’y pense, ressemblent à ceux des simili-hérissons qu’on est en train d’observer se disputer avec une sorte de canard vert. Le dessin animé est dur à avaler, mais les enfants qui le regardent sont faciles à embrasser.


Avec un mouvement d’effort, je tente de m’intéresser à l’histoire, pour faire de cette punition un vrai moment de partage, pour avoir, ensuite, ce soir, la semaine prochaine, un instant de grande complicité, à table, où je m’imagine dire “oh, c’est comme dans Sonic, tu te rappelles?” qui serait accueilli par des acquiescements enthousiastes et des beaux sourires d’approbation et d’entente. Allez, donc, Milieu, euh, ça parle de quoi, ce dessin animé? De? Gens qui font boum et bam et avec leurs mains parce qu’ils ont le pouvoir du feu? Ah, c’est super. Et il vit à Hawaï? Mais non, Grand, je ne raconte pas n’importe quoi, je dis ça pour les volcans, et la végétation. Ok, ok, je me tais, vous n’entendez rien.   

Allez, encore un effort. J’ai l’impression que les scénaristes ont sauté sur le requin depuis l’épisode trois de la saison un, n’ayant déjà plus d’idées de choses crédibles à faire faire aux canards et renardeaux multicolores que des quêtes de sabres lasers, rubis de jouvence et autres superpouvoirs ou objets surnaturels de mauvais contes. Le scénario du jour est une histoire de trou dans l’espace-temps, dont on entre et on sort, qu’il faut trouver pour survivre ou un truc de cet acabit.


Heureusement que c’est en espagnol, que l’histoire (ou son absence) donne tout loisir à mon esprit de divaguer, à ne faire que câliner mon aîné à ma gauche, que cajôler mon deuxième à ma droite. Heureusement qu’en allumant la télé, j’ai éteint à la fois ma culpabilité et mon ambition de penser, pour ne garder que celle de profiter de mes fils, de partager un quelque chose, de donner et recevoir de la tendresse, dans ce moment hors du temps.

Trou dans l’espace-temps, pffff.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Beau jeu
 

Batailles choisies #541

Coucher de soleil sur le Pacifique, difficultés suspendues sur la maternité, roulis des vagues qui me susurre: tu as le droit d’être heureuse d’être mère. 🌊


 

J’ai beau jeu de trouver que le plus dur est passé.

J’ai beau jeu de trouver que mes enfants sont plus tranquilles, plus faciles. 

Évidemment: ce sont les grandes vacances.

Évidemment: on est en week-end à la mer avec mon beau-frère, ma belle-sœur et leur petite.

Évidemment: on est logés dans un confortable quatre pièces en front de mer.

Evidemment: quatre adultes pour quatre enfants, le ratio est aussi agréable que l’appartement.

Évidemment: j’ai pris la décision courageuse et difficile de ne pas avoir l’ambition de travailler, ce qui me laisse toute place et toute tête pour profiter du week-end.

Évidemment: les jours passés, les quatre enfants ont fait une sieste en même temps - un air de miracle flotte donc sur notre week-end. 

J’ai beau jeu, alors, de trouver mes enfants mignons, intéressants, de les trouver autonomes, plutôt capables de s’occuper seuls, de n’oser croire puis de m’ébahir tout de même qu’enfin, c’est pour aujourd’hui, ce moment où les soucis de la petite enfance sont définitivement derrière moi.


C’est la fin d’après-midi. Deux jours merveilleux sont déjà passés. Mes garçons ont profité de l’air marin, ils ont fait des châteaux de sable ou bien des pâtés, dépendant de leur niveau de motricité fine. Ils ont dévalé des dunes en riant. Ils se sont émerveillés d’oiseaux exotiques qu’un parc ornithologique pas très loin pouvait offrir à leurs regards, ont observé avec délices leurs couleurs chatoyantes, moirées, leurs verts, leurs rouges superbes. Ils se sont émerveillés des canards de la lagune d’à côté car les enfants ont l’esprit démocratique et aiment autant les aras que les coincoins de quartier. Ils ont fui, en hurlant de rire, les vagues du Pacifique qui venaient s’écraser avec un doux fracas contre le sable gris et sur leurs pieds. Ils ont tenté de faire voler des cerfs-volants. Ils n’ont pas mangé un seul légume. Ils ont été follement heureux. Et moi aussi, de les voir ainsi.       


Assise sur la terrasse, à 19 heures, je regarde le Pacifique, les bleus de ses vagues, la lumière du soir qui lui donne mille couleurs. Dans le fond, chantonne la mélodie idiote de la télé, qui hypnotise mes enfants pour m'offrir un moment de communion avec l’océan. Le dieu des parents n'existe pas - mais la télé, oui. L’écran est resté éteint tout le week-end, ce qui a emporté toute culpabilité comme du varech repris par l’écume.

Je repense au Pacifique que je voyais quand j’habitais sur la côte, à notre arrivée au Chili. Dans mon roman Litanie Valparaíso, l’océan occupe une place importante, point de mire unique, plein de beauté et plus encore plein de menaces et de dangers. La narratrice, une version de moi-même, mère dépassée, mère éplorée, regarde jour et nuit l’infini bleu, ses questions qui ne trouveront pas de réponses, ses fausses promesses de bonheur, ses déchaînements de malheur. 

Ce n’est plus le même Pacifique que je vois. Il est beau, celui-là. Changeant, mais toujours beau. Et je ne suis plus cette mère-là. Je peux regarder le Pacifique et espérer, souffler, ne revoir que le bonheur, laisser se noyer les difficultés. Je peux ne revoir que mes enfants, choupis et tout doux, fuir les vagues, courir sur la plage, dévaler les dunes de sable gris, se livrer aux plus beaux jeux en famille.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣