L’amour de la nature

 

Batailles choisies #293

Je tiens beaucoup à ce que mes enfants grandissent avec l’appréciation et le respect de la nature. Mais bon… les enfants... ⛰


 

Tout le monde est descendu de la voiture, chaussures de randonnée aux pieds, sacs aux dos, sourires aux lèvres. Nous sommes dans les carrières de pierre, une de nos sorties classiques, accessible, amusement garanti et pour tous les goûts. On connaît trois ou quatre départs de balade dans les collines où résonnent les coups des tailleurs sur leurs burins. Chaque chemin a son charme, celui-ci va jusqu’au sommet, celui-là se perd dans un creux où broutent des chevaux, cet autre où nous nous trouvons aujourd’hui, ceint la colline et nous permet d’admirer la vue. 

Les sorties en plein air sont très importantes pour moi. J’essaie de transmettre à mes enfants le plaisir d’être dehors et la préoccupation de la nature qui en découle, comme on me l’a transmise à moi. Car dès qu’on passe du temps dans la nature, on se sent humble, on se sent visiteur chez une grand dame à qui on doit le respect. 



Début de la marche. 

On fait cinquante mètres.

- On pique-nique ici? demandent les aînés en désignant une grosse pierre qui peut servir de chaise.

- On ne peut pas avancer un peu plus? La vue est belle par là…

- Non, ici!

- Bon, et qu’est-ce qu’on fait, ici?

- On jette des cailloux dans la décharge! 

Les garçons ont choisi l’emplacement idéal, en surplomb d’un début de décharge sauvage jonchée de canettes de bière, de bouteilles de Coca et de cartons de pizzas éventrés. Leur grand plaisir est de soulever la pierre la plus lourde qu’ils puissent trouver et de la jeter en visant une bouteille, dont ils espèrent qu’elle éclatera en mille morceaux, ou en plein sur une canette pour qu’elle s’écrase avec un douloureux bruit juste trop génial. 

Leur apprendre l’amour de la nature, work in progress.

- Bon, allez, les garçons, vous avez fini de lancer les cailloux?

- Non! Jamais!

- Il faut avancer un peu là, le soleil va bientôt passer derrière la montagne, il fera trop froid après ça! 

- J’ai une idée! s’exclame Grand. On va mettre une alarme sur ton téléphone! 10 minutes, on marche et quand ça sonne, on fait demi-tour. Ça te va?

Pacte scellé. Alarme mise.

Le large chemin nous éloigne de la décharge et avance dans la colline en l’entourant comme une ceinture. Sous nos pieds crissent les pierres et les cailloux qui ont dégringolé d’en haut, depuis les dizaines de cabanons qui ponctuent la montagne. Les toiles noires trouées sous lesquelles s’abritent les tailleurs volent au vent, un peu d’humanité fragile dans cette végétation d’arbres bas et de cactus qui tiennent la chaleur écrasante de l’été de cette région centrale du Chili. Sur notre gauche, la vallée de Colina s’étend entre les montagnes de la pré-cordillère qui coulissent les unes dans les autres. Les champs bruns ou verts, les arbres centenaires de l’époque des grands propriétaires terriens, font un tapis rassérénant. De notre belvédère, on distingue les canaux d’irrigation qui traversent la vallée parsemée de quelques bois. À cette heure, le smog de Santiago, bien qu’affaibli, s’est déplacé et plane sur la vallée avec sa fumée jaunasse et marron. Mais ignorons-le! Concentrons-nous sur le ciel d’une belle après-midi d’hiver, ce ciel d’un bleu profond, hypnotique, nuancé déjà par le rosé discret du jour finissant qui vient peindre les collines rompues d’où jaillit la pierre, grise, beige, rose parfois, des espaces intacts, intouchables, rudes et rugueux qui ...

Bip, bip, bip!

- Ça a sonné! Allez, on retourne jeter des cailloux dans la décharge!

L’amour de la nature, work in progress.


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