Tu as bien compris?

 

Batailles choisies #309

“Oui, Maman, j’ai bien compris. J’ai bien compris qu’il faut te dire ce que tu veux entendre”. Gare à l’enfant de trois ans, diablotin malin. 😈


 

Milieu me regarde avec son air très sérieux, cet air de grande personne qui a pris une grande décision de la plus grande importance.

Je sais bien que ça ne va pas marcher, que la galère à venir, prévisible, attend sa galérienne préférée, mais je vois ces yeux et je réprime difficilement mon sourire. 

- Tu as bien compris? On va dans la boutique de douceurs que ton frère et toi vous aimez bien, mais on n’achète qu’un petit sachet de bonbons par personne. Tu as bien compris?

- Voui.

- Un tout petit sachet de dragées de couleurs.

- Voui. Tout petit. Grand, nooon!

Milieu, trois ans, a ces yeux qui disent qu’on comprend. Ces yeux qui disent qu’on comprend certaines choses. Qu’on ne comprend pas parfaitement ce que veut dire “on va aller à l’endroit des chocolats”, ni qu’on comprend vraiment ce que ça veut dire “et après on rentre tout de suite, on jouera juste un tout petit peu”. Il a ces yeux qui disent qu’on comprend qu’il faut faire semblant de comprendre

Il est évident, du haut de ses trois ans, que quand Maman, alors qu’elle nous installe dans la voiture, nous pose des questions en nous faisant promettre qu’on va bien se tenir, ne pas se disputer avec son frère, ne pas vouloir acheter toute la boutique et ne pas se rouler par terre quand l’emplette d’une bouteille d’eau gazeuse nous sera refusée, il faut répondre d’un ton assuré. Milieu a cet air à comprendre qu’on doit amadouer Maman, bien sûr que non la sortie de fin de journée ne se transformera pas en sables mouvants, promis, juré, croix de bois, croix de fer, si je mens, j' vais en Enfer. 


- Milieu, tu as compris? On n’achète qu’un tout petit paquet.

- Oui. 

- Un seul, ok?

- Voui. Deux.

- Non!

- Un, un paquet, acquiesce-t-il.

- Et on n’achète rien d’autre! Ni des gâteaux, ni de l’eau, hein?

- De l’eau, non, répond-il en joignant à la parole décidée le geste ferme de faire “non, non, non” de l’index comme un instituteur très à cheval sur l’accord du participe passé. De l’eau non. De l’eau qui pique!

- Non.

- Non, pas eau qui pique, non.


Évidemment, arrivé à la boutique, Milieu veut tout acheter: de l’eau qui pique, des chocolats, des bonbons, des dragées, des gâteaux qu’il n’aime pas. Il ne veut pas rentrer, ne veut pas jouer avec son frère, va quinze fois vers le frigo où se trouvent les bouteilles d’eau qui pique.

Évidemment. 

Évidemment, vogue ma galère habituelle, mon pédalo quotidien des sorties avec les enfants. 


-Ça! crie soudain Milieu avec enthousiasme, en désignant une coupelle sur le présentoir.

-De la semoule au lait?

-Voui!

-Mais tu n’aimes pas ça! Abuelita en a fait une fois, et tu n’as pas aimé! 

-Si! Moi aimer! rugit-il.


En plein découragement maternel, je me rappelle cet air de grande personne et ces décisions prises avec fermeté.

Bon, ben, va pour le dessert. 

À ce regard très sérieux, je pardonnerai tout - même de pédaler dans la semoule.


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Heloise SimonMilieu, sortie