Et iel fait ses nuits?

 

Batailles choisies #355

Comme une furieuse envie d’envoyer se faire foutre la question “et iel fait ses nuits?” Je ne supporte plus cet accélérateur de culpabilité maternelle. Allez, on arrête les chichis, portes ouvertes à mon lit, mes gosses zombies et mes nuits pourries. 🧟‍♀️


 

Je ne supporte plus cette question, cette obsession: “et ça va, iel fait ses nuits?”

J’en ai marre de la pression qu’elle met sur les parents, sur les mères, en leur imposant l’idéal d’un enfant qui dort quatorze heures par nuit dès deux mois, marre du sentiment d’échec qu’il produit si son bébé se réveille la nuit. 

Je ne comprends pas non plus pourquoi ce tabou persiste, pourquoi on ne dit pas que… les enfants (spoiler…) dorment (gros spoiler…) mal. À quoi ça sert, à part obliger les jeunes parents à n’avouer qu’à demi que leurs enfants ne font toujours pas leurs nuits (- Ah bon, toujours pas? - Euh, non, mais c’est mieux qu’au début!), à part à faire vendre des bouquins pour régler le problème? 


Alors, jugez-moi, plaignez-moi, trouvez que vous faites mieux que moi, bravo, trouvez que vous êtes dans la même merde, high-five, mais soyons honnêtes et écoutez, en toute franchise, ce que veut dire “faire ses nuits” chez moi.  


Grand a dormi des nuits complètes à 3 ans et 4 mois. Milieu, qui a 3 ans et demi, dort sans se réveiller, je dirais deux tiers de ses nuits. Dernier, bientôt dix mois, ne fait pas ses nuits au sens où je ne le pose pas dans son berceau le soir et l’y récupère le matin, mais certaines nuits, lui et moi ne nous réveillons que quelques micro-secondes le temps que lui émette un gazouillis et que moi, je le colle au sein.

Lorsque Grand était nourrisson, on a passé des heures à lui faire faire des tours de poussette en pleine nuit dans la maison qu’on occupait à l’époque. On alternait à toutes heures de la nuit biberon et tétée. Pendant sa première année de vie, son père ou moi nous couchions avec lui pour l’endormir, il s’est réveillé toutes les nuits jusqu’à ses deux ans et demi, il fallait lui donner un biberon à 2, 3 ou 4 heures du matin. Il a eu une période où il dormait plutôt bien, puis de nouveau de manière irrégulière jusqu’à ce qu’il entre en maternelle et ne fasse plus de sieste, jusqu’à ce qu’il décide, un jour, qu’il préférait s’endormir tout seul, à 3 ans et 4 mois donc. Depuis, il se réveille rarement, uniquement pour cause de cauchemar.

Milieu a eu un sommeil de bébé normal, c’est-à-dire mauvais mais pas pire. Il s’est réveillé toutes les nuits depuis ses 1 ans, a eu un sommeil terriblement agité pendant l’année et demi de confinement et de reconfinement, cris, pleurs, couches qui débordent, biberons à toutes heures, nuits entières à dormir avec lui, levées aux aurores d’une humeur massacrante (la sienne, la nôtre). 

Quant à Dernier, 9 mois, j’ai juste abandonné qu’il fasse ses nuits. Pas qu’il dorme encore moins bien que ses frères, non, c’est même un peu plus honorable. Mais je ne fais plus de travail pour qu’il fasse ses fameuses nuits. 

Je le couche en lui donnant la tétée.

Je le couche parfois directement dans mon lit.

Dès qu’il gémit, ou fait des bruits d’éveil, je lui fourre un sein dans la bouche.

Si on me demande s’il fait ses nuits, s’il ne se réveille pas trop, au lieu d’entrer dans des justifications pleines de sentiment d’échec latent, de ressenti d’incompétence, je ne me bile pas:

- Et ça va, il fait ses nuits?

- Pas plus que d’habitude.

- Et tes enfants, Héloïse, ils ont fait leurs nuits facilement?

- Ah oui, le premier vers 3 ans et demi, le deuxième vers 4 ans et le troisième, j’espère plus vers 5 ou 6 ans, hein, histoire de faire cerise sur le gâteau ou pompon sur le bonnet. Ah ben je peux te dire que moi, je suis LA spécialiste du sommeil des enfants! 


Voilà, vous savez tout de mon lit, de mes nuits, de ma vie: le sommeil, chez moi, c’est la cata. 

Arrivez-vous au bout de mes explications en vous disant que ça va en fait, chez vous, ça pourrait être pire, tu as vu, Chéri.e, la pauvre nana? Ou bien que chez vous c’est pareil, ah c’est pas juste mes enfants qui sont des zombies relevés de leur lit pour vous infliger des châtiments éternels?

Ce n’est pas que j’aime être réveillée toutes les nuits, ni n’avoir pas dormi une nuit complète depuis presque six ans. Mais j’ai simplement abandonné l’espoir et peut-être même le concept de “faire ses nuits”


Sans doute les tenants de l’éducation positive me montreront avec bienveillance à quel point tout est de ma faute de mauvaise mère, que sans doute, mes enfants n’ont pas l’autonomie, n’ont pas l’amour, n’ont pas la confiance en eux pour dormir paisiblement et n’ont au lieu de ces vertus cardinales, qu’un fade téton mis en bouche à la première émission de son.


Sans doute certains parents y parviennent, sont plus disciplinés, ont lu ce qu’il fallait. Et bravo, vraiment, je vous admire sans envie. Je veux bien croire qu’on peut éduquer un bébé au sommeil et que, vu le cirque du sommeil chez moi, j’ai… comment on dit… euh… le mot m’échappe… il fait un peu mal… ah oui: j’ai complètement raté l’éducation au dodo. Mais je n’ai plus envie de culpabiliser. 

Ni que d’autres parents culpabilisent ou se disent qu’il n’y a qu’eux dans ce bateau alors que dans le bateau du sommeil des bébés, il y a beaucoup de galériens et peu de maîtres d’équipage.  


Rejoignons-nous dans l’aveu que les enfants dorment mal, tout le temps, longtemps, souvent, qu’on essaie de faire de notre mieux, nous parents, qu’on y arrive plus et surtout moins. Que “faire ses nuits” relève parfois de l’obsession de société, très mauvaise pour nous toutes et tous.

Je rêve du jour où tous les parents pourront dire haut et fort, non, il ne fait pas ses nuits, oui, j’endure, oui, c’est horrible, mais je suis encore debout - quoique, déjà 20h30, j’en peux plus, je vais me coucher.


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Heloise Simondodo, sommeil