Les féministes sont mal-baisées

 

Batailles choisies #373

Pourquoi une femme n’a pas envie de sexe avec son mec, le soir, à 23 heures? Pimentons nos disputes de repas de Noël avec un concept féministe: la troisième journée. #troisiemejournee 🌶


 

“Tous les soirs, ma femme, elle me fait le coup de la migraine. Madame est fatiguée, épuisée, pas moyen de la faire passer à la casserole!”


Les hommes ont toujours eu beaucoup d’humour.


Et les mêmes hommes, ceux avec qui on discute (se dispute?) aux fêtes de fin d’année, se gaussent et s’amusent, l’oeil brillant d’intelligence (à moins que ce ne soit le vin), à pointer ce qu’ils trouvent être vos contradictions de féministes, là, de féminazie:

- Hein, et comment tu expliques, alors, l’étude qui prouve que les hommes qui ne participent pas aux tâches ménagères font plus l’amour que ceux qui partagent? Faire plus la vaisselle et baiser moins, haha, très peu pour moi, haha!


Les hommes ont toujours eu beaucoup d’humour, vous dis-je.


Il y avait effectivement un article scientifique (largement repris, ici par exemple) affirmant que les hommes ne participant pas aux tâches ménagères faisaient plus l’amour que ceux qui participaient à égalité avec leur conjointe - que les hommes qui font plus la vaisselle baisent moins, donc.

Demandons-nous donc, dans un esprit de fêtes et de partage: quelle leçon tirer de cet article?


Malgré les beaux discours et les belles intentions, en couple hétéro, les femmes fournissent davantage de travail domestique et parental: elles en font plus, font les tâches les plus ingrates, les plus répétitives, les plus urgentes (tondre la pelouse peut se faire demain, le dîner c’est pour maintenant). Les études le prouvent, ici, ou , par exemple. Malgré les intentions, donc, ce que la sociologue Arlie Hochschild appelle la deuxième journée (“the second shift”, c’est-à-dire les heures de travail domestique gratuit qui se font après le travail), est plus longue, plus ingrate et plus lourde pour Madame.   


Les hommes modernes, ceux qui baisent moins donc, vous diront, puisqu’ils ont de l’humour mais sont aussi susceptibles, que “attends, ils sont vachement impliqués, ils nettoient tout le temps, ils font vachement de lessives”. 

Madame, en général à ce moment-là, lève les yeux au ciel.

Pourquoi?

Mais parce qu’il y a dans le partage des tâches domestiques un fait essentiel: les hommes ont l’impression d’en faire autant que leur conjointe. L’impression. Je répète: l’impression d’en faire autant.

Quelques exemples de cette implication en trompe-l’oeil dans le foyer, qui donne l’impression aux messieurs qu’ils en font autant, alors que c’est en réalité la femme, d’autant plus si elle est mère, qui va faire la majorité des tâches:

Le mari qui lance une lessive (appuyer sur un bouton) mais qui ne l’étend pas, ne la plie pas et ne la range pas - un classique.

Le père qui se fâche sur les enfants parce qu’il n’a pas de patience, et la mère qui passe ensuite trente minutes de son temps et de son énergie à régler le différend - vous est présenté par “lire un livre de parentalité de temps et temps et faire du travail émotionnel ça te ferait du bien magazine”.

Le compagnon qui a dit qu’il rentrerait à 17h30, qui arrive à 18h15, pardon la réunion, et qui doit juste écrire un email super rapide, hein - tête à baffes.

Le mec qui vous annonce au fait ce week-end, c’est l’anniversaire de ma sœur, tu n’as pas une idée de cadeau? - une idée de cadeau étant un euphémisme pour peux-tu penser à, te déplacer vers, acheter et emballer un cadeau parce que je n’ai pas envie, et si tu pouvais aussi écrire la carte, ça m’arrangerait.

Le papa qui a dit qu’il n’avait pas eu le temps de finir les devoirs, tu pourras prendre la suite, ma Chérie.   

(Ajoutez ici des exemples de votre cru, rien que sur une semaine je suis sûre que vous en trouverez des centaines).


Durant la deuxième journée, donc, les femmes en font plus et le font sans que monsieur s’en rende compte et alors même que le monsieur en question est persuadé d’en faire autant (certains prétentieux prétendent qu’ils en font plus, mais passons).

Et durant cette deuxième journée, votre femme, Messieurs, passe son temps à vous critiquer intérieurement et vous hurler, le plus souvent silencieusement, des reproches:

Mais putain, faire une lessive c’est aussi l’étendre, la plier et la ranger!

Mais il peut pas occuper les gosses au lieu d’attendre à rien faire et qu’ils finissent par se taper dessus!

Mais putain, ton email super rapide, fallait l’écrire dans le métro, quand tu es là, tu es là.

Mais c’est pas ma sœur, qu’est-ce que j’en sais de son cadeau, moi!

Mais putain, occupe-toi des devoirs, ça veut dire que quand je rentre les devoirs sont faits, finis, pas qu’il en reste la moitié, sinon autant tout faire moi!

(Ajoutez ici des exemples de votre cru, rien que sur une semaine je suis sûre que vous en trouverez également des centaines).


À la fin de la journée, fatiguée par sa première journée (au travail), épuisée surtout par sa deuxième (à la maison), Madame se sent… flouée… arnaquée… comment dire… ah oui: baisée par cet homme qui lui a promis de ne pas l’exploiter et qui le fait tout de même avec le sourire et des t-shirts féministes. 


Commence alors la troisième journée (“the third shift”, que j’emprunte à Arlie Hochschild en l’adaptant, et à d’autres chercheuses, parlant notamment ici de ce concept pour la vie sexuelle des femmes). 

La sociologue américaine analyse l’émotion de culpabilité que ressentent les mères, et le travail émotionnel qu’elles doivent fournir pour s’en libérer. Car une mère qui travaille, le soir, n’a jamais assez bien travaillé, et n’a jamais été une assez bonne mère. Elle a l’impression terrible que sa première journée est responsable des échecs de sa deuxième, et que sa deuxième explique les impasses de sa première: c’est la troisième journée, travail autour de ses émotions de culpabilité, pour arriver au lendemain. Mais il me semble qu’on peut élargir l’idée de troisième journée à tout le travail émotionnel qu’effectue une mère à la fin de sa soirée, pas seulement celui de démêler sa culpabilité. 

La troisième journée serait alors, lorsque les enfants sont couchés, ce moment où on essaie de se réconcilier avec soi-même, avec sa vie, avec ce conjoint qui a dit 17h30, mais putain il sait pas ce que ça fait d’arriver à 18h15, avec le fait que clairement, ce mec, il ne voit pas que vous en faites plus, il balaie votre travail parental d’un revers de main avec un “moi aussi je fais des lessives”, quel connard, en même temps, le quitter, pour aller où, je suis coincée, il faut tenir encore un peu, essayer de lui en parler, de lui en reparler, demain. J’en ai tellement marre, tellement marre de devoir lui demander d’étendre les lessives, putain, tellement marre qu’il s’occupe deux heures des gosses et qu’il soit à un point sur les nerfs que c’est limite plus tranquille quand c’est moi qui me les farcis. #troisiemejournee

Tout ce dialogue, toute cette conversation avec soi-même, c’est la troisième journée, une tentative de réconciliation émotionnelle en soi.


La troisième journée se joue dans la tête.

Elle est silencieuse.

Elle est invisible.

Elle est épuisante.

Elle est essentielle, car c’est grâce à ce travail émotionnel qu’on arrive au lendemain.  

   

Cette troisième journée, qui se mélange souvent aux tâches qui trainent en soirée (étendre la lessive, faire les comptes, trouver des vêtements d’occasion pour la petite sur Le Bon Coin), s’arrête à l’heure du coucher, quand Madame est suffisamment réconciliée avec elle-même et sa vie pour trouver le sommeil.


Et là, à 23 heures, donc, après avoir écrit quelques mails et sans avoir étendu la lessive, Monsieur entre dans la chambre à coucher, la bouche en fleur et la queue en cœur.


À votre avis, la troisième journée, celle où Madame a fait la liste des raisons de divorcer, puis a abandonné face à la paperasse, est-elle propice à faire éclore le désir?

Quand une femme a passé deux heures à vous lancer silencieusement des “putain” et des “mais tu peux pas”, êtes-vous si beau, si doué au lit, qu’elle vous voit entrer dans la chambre et se dit “ah, je n’attendais que toi!” ?

Le désir se joue dans la tête. C’est dans la tête qu’on se prépare au sexe, qu’on prépare son corps, qu’on se prépare à celui de l’autre.


Or, le désir ne fait pas bon ménage avec la déception, la désillusion, le sentiment terrible de l’arnaque - ils font même chambre à part.

L’amour de l’autre, de la conjointe, ce serait d’ouvrir les yeux sur son travail domestique et parental, d’ouvrir les yeux sur les forces invisibles qui, malgré les promesses égalitaires, créent ou renforcent l’inégalité au sein des couples, forces sur lesquelles il est commode de s’auto-aveugler. 


Il est donc bien vrai que les féministes, celles qui veulent un partage des tâches, sont des mal-baisées, haha, comme c’est drôle, toujours cet humour, hein.

Mais Messieurs, retenez ceci:

Mal-aimer, c’est mal-baiser.


Et joyeux Noël.


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