Je suis un mauvais enfant

 

Batailles choisies #374

Envie de raconter une impasse que j’ai avec mon aîné. Envie de parler des jours où on échoue, où on n’arrive pas à éduquer ses enfants, où on n’arrive pas à être un bon parent.   Attention! Cet article en deux parties contient un boomerang. 🪃


 

(Première partie: le boomerang va)



Grand a invité son ami M. à la maison, un camarade de classe tout mignon et poli.

Si tout se passe bien au début, quelques couacs, désaccords et grincements plus tard, tout ne se passe plus bien.

Entendant M. dire à Grand: “mais pourquoi tu as fait ça, pourquoi tu as jeté mon biscuit?”, j’interviens pour désamorcer. Avec bienveillance et fermeté, je me mets à la hauteur de Grand et recadre: 

- (ton calme) Non, on ne peut pas faire ça, on traite bien son ami qu’on a invité, on ne dégomme pas le biscuit de ses mains, en blague ou en vrai, non, c’est un geste méchant. 

Grand est penaud.

- (ton calme) On offre à M. un autre biscuit et on s’excuse, d’accord? 

Grand acquiesce pour le biscuit.

- Mais m’excuser, non. 

- (ton moins calme) C’est important de t’excuser, de montrer que tu sais que tu as fait une erreur.

- M'excuser non.

- (Calme n’est plus) Grand, tu t’excuses.

- Non.

- Tu t’excuses tout de suite.

- Non.

- Tu t’excuses, maintenant, c’est clair?

Je l’attrape violemment par le bras.

- Tu as intérêt à t’excuser, tu as bien compris?

- Non, j’ai peur de m’excuser.

- Je m’en fous. Tu t’excuses. 

Une petite voix me dit que ça va mal finir. Mais elle est trop petite face à l’immensité de mon désarroi, de ma furie qui vient l’écraser sans pitié.

J’attrape violemment Grand par le bras et le tire dans la cuisine, hors de la vue de son ami. Grand continue de dire qu’il ne veut pas s'excuser, alors que je lui hurle dessus désormais, que je le menace, alors que je me retiens comme rarement je me suis retenue de lui coller une gifle en travers du visage.

Je suis impuissante, désemparée face à une telle résistance, à ce refus de réparer son erreur, bien plus que du geste méchant qu’il a eu pour son camarade, désemparée du mur qu’il construit, désemparée de le voir brûler les ponts de lianes que je lui lance pourtant avec humanité.

Et puis, j’ai honte de mon fils. Honte qu’il ait choisi la voie de la méchanceté, honte qu’il n’arrive pas, du haut de son orgueil, à privilégier son amitié. 

Et puis, pire, bien pire, j’ai surtout honte de moi. Je suis mortifiée. Je me vois dans un tel échec, j’ai l’impression que mon fils est la preuve de mes erreurs d’éducation, je suis dépassée par un bête conflit d’enfant que, moi-même, je n’arrive pas à dépasser. J’y suis complètement emportée, engouffrée, tunnélisée. Tout mon corps est grevé par la honte que je ressens à être cette mère qui est dépassée par son enfant, qui se laisse débordée, qui, indignement, traîne un gosse de six ans devant un autre gosse de six ans, en criant qu’il doit s’excuser, en obtenant ce qu’elle veut à la force de l’adulte.

J’ai honte de ce que je suis, honte de ce qu’on va dire de moi, honte de ce que M. va ramener chez lui de mon enfant, de ma famille, et de moi.


Le biscuit à peine offert en remplacement, l’excuse à peine prononcée du bout des lèvres et au milieu des larmes, Grand file se cacher sous son lit, tout secoué de sanglots.

Le puits continue de se creuser. M. joue tout seul pendant que j’essaie de faire sortir, mon aîné de sa peine, moi de mon échec, en attrapant, avec maladresse, le problème de tous les côtés, essayant de susciter son empathie ou qu’il comprenne la conséquence de ses actes, sans succès. Grand et moi sommes coincés, tétanisés, lui, moi, dans des tourbillons émotionnels qu’on n’arrive pas à démêler. Je finis par demander candidement ce qu’il se passe, si c’est cet enfant-là qu’il veut être.

Toujours en pleurant, il me regarde et me dit:   

- Je suis un mauvais enfant.

- Comment? Qu’est-ce que tu dis?

- Je suis un mauvais enfant. Parce que j’aime être méchant avec les autres.

- Mais non, parfois tu commets des erreurs, mais tu n’es pas toujours un mauvais enfant. Tu es un bon enfant qui fait des erreurs, mais tu peux chercher à t’améliorer.

- Non, je serai toujours un mauvais enfant, je ne vais jamais m’améliorer.


Entre mon mari. 

Changement de discours: tu as invité ton ami, tu descends jouer avec lui.

Après quelques minutes de flottement, les jeux reprennent.


Je suis encore plus désemparée.

“Je suis un mauvais enfant”… qu’est-ce que ça veut dire? Ça me blesse, d’entendre ça! Est-ce une pensée inconséquente? Une réelle émotion, douloureuse? Je ne veux pas éduquer un enfant qui a le droit d’être méchant, mais je ne veux pas non plus éduquer un enfant qui ne s’aime pas!

Où se trouve l’équilibre de l’estime de soi et de l’acceptation de ses erreurs?  


Comment on apprend à un enfant à s’aimer et à s’estimer, mais aussi à accepter ses erreurs et à prendre à bras le corps le travail ingrat de s’améliorer?

Est-ce ça, grandir?


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Heloise SimonGrand, ami, doute