Champ…

 

Batailles choisies #378

Ô incommensurable tristesse de laisser son enfant, son doux bébé, son petit ange, les joues baignées de larmes, pour la première fois, à la crèche.🙊


 

Tristesse infinie de voir Dernier partir, encore étonné mais pleurant déjà, dans les bras d’une ass mat! Fêlure au cœur de voir la tristesse et l’angoisse chez son enfant pour qui l’adaptation à la crèche va être dure! Culpabilité de se dire que peut-être on pourrait faire plus pour lui, peut-être le garder encore un peu à la maison…


Nan.


Je plaisante bien sûr.


Champagne! 


Enfin! Enfin Dernier commence la crèche! 

Et quoi, il me faudrait pleurer? 

Nan! C’est juste trop bien!

Des mois que je retarde cette échéance pour des questions logistiques mais aujourd’hui, ça y est, c’est le grand jour, le jour J, J comme Joie, J comme Jubilation, J comme Je. 

Dernier qui commence la crèche, c’est aussi moi qui commence une autre vie… 


Nous sommes sur le perron du grand bâtiment crème au milieu des champs, sous une sorte de tour-clocher au sommet duquel bat un pavillon orange. Derrière la porte interdite d’accès aux parents depuis le Covid, on devine le jardin et ses jouets. Des ass mat vont et viennent.

Dernier est dans mes bras, tout lové contre moi, peut-être par inquiétude face à cet endroit nouveau, plus probablement pour me culpabiliser avec ses senteurs d’innocence et sa chaleur de bébé. 


Arrive une des Miss qui va s’occuper de l’adaptation de Dernier.

- On y va, lance-t-elle joyeusement à ce bébé aux grands yeux méfiants.


Dans ma tête, en caressant ses joues, je lui dis “désolée, mon grand, ça va pas être facile pour toi, mais j’ai assez donné, je me suis assez occupée de toi, alors il va falloir que tu te débrouilles sans moi et que tu t’adaptes.”  

Puis je ferme à clé mon cœur de maman et la jette sur le sol de gravillons.

La Miss arrache Dernier de mes bras.

  

Je piétine la clé de mon cœur en tournant les talons, poursuivie jusqu’à l’habitacle par le long pleur d’un enfant, sans doute le mien, non, disons que c’est celui d’une autre.

Bref silence.

Et clés sur le contact, vroum, je démarre: c’est parti!

Je m’efforce de ne pas sourire, car une mère qui laisse pour la première fois son bébé n’est pas joyeuse, guillerette et sautillante, non! Elle est grave, triste, pénétrée d’une sérieuse culpabilité.


Je n’ai qu’une heure à moi, mais c’est déjà tellement!

Une heure pour boire un café, une heure pour travailler, mon sac à dos lourd de mon ordinateur, de mes livres et de mes bonnes intentions, une heure pour vivre, revivre. 

Au bout de la rue, je m’installe à une petite table branlante, mais ce n’est pas grave, pour boire un café trop cher, mais ça n’a pas d’importance, avec un cookie trop sucré, mais ça m’est égal: c’est un moment tranquille et heureux, comme je les aime.


Un moment tranquille, heureux, mais bref.

L’heure est déjà passée et je suis déjà de retour dans le parking de gravillons.

Je descends de la voiture, me dirige tranquillement vers le perron, tique parce que j’ai marché sur quelque chose… une chose qui brille et qui sonne sous mes pieds.

Oh! Qu’est-ce?

Une clé, une toute petite clé…

Celle que j’avais laissé choir tout à l’heure.


Le brouhaha des rires et des jeux d’enfants, des chansonnettes et des comptines dites avec gaieté, est percé par un son douloureux qui, lointain d’abord, s’approche inéluctablement, le son douloureux d’un pleur, cri s’amplifiant pour devenir Dernier, accroché dans les bras de la Miss, hoquetant de sanglots, les joues baignées de larmes. Lorsqu’il me voit, ses larmes redoublent, sa voix cassée d’avoir tant pleuré se lançant désormais dans des braillements d’animal égorgé.


- Ça s’est bien passé? je demande sans conviction.

- Il a pleuré toute l’heure. Les bébés de pandémie, c’est particulièrement dur, vous savez. Il faut vous attendre à ce que son adaptation prenne du temps. Toute cette semaine, on ne fera qu’une heure par jour.

- Ah? Une heure seulement? Oui, je comprends, l’idée n’est pas de le traumatiser, bien sûr… même si… non rien, dis-je en retenant un soupir.


Lové contre moi, mouillant ma poitrine de ses larmes, Dernier est passé à la lamentation plaintive, son corps encore secoué de hoquets malheureux.

Désolée, mon chéri, je lui dis dans ma tête. C’est pas facile, je sais.

À moi-même, alors que je tourne les talons pour la voiture, je dis:

Désolée, ma grande, ce sera plus dur et plus long que ce que tu espérais. Tu peux ranger le champagne, va. Pour cette semaine, ce ne sera peut-être pas même Champomy.


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Heloise Simoncrèche, Dernier