Le goûter monstre

 

Batailles choisies #412

Où se cache donc le goûter de mes enfants? Dans mon sac, dans ma tête, dans mes emmerdes? 🍪


 

Je suis dans ma salle de classe, entre deux cours. J’ai des dizaines de petites choses à faire, cahier de textes à remplir, mails à tel ou telle collègue, noter vite une idée pour améliorer la séance qui vient de s’achever, entrer une évaluation dans le logiciel du collège, dizaines de tâches de prof, petites choses qui m’occupent totalement la tête. Pourtant un silence, un instant de pause, se fraie son chemin dans mes multiples à-faire.

Du dehors me parvient, étouffé par une lourde porte, le brouhaha joyeux des enfants qui hurlent dans la cour de récréation. Le vidéoprojecteur grésille et étale sa lumière bleue hypnotique sur le tableau blanc. À l'extérieur, la route laisse entrer le murmure de quelques roulis de voitures par les fenêtres fermées. Les chaises, les tables, les papiers en boule, ont gardé la pose dans laquelle les élèves les ont décalées, jetées, repoussées. C’est le temps suspendu de toutes les salles de classe du monde lorsqu’il n’y a pas d’élèves. 

C’est une pause. Je respire et me recentre un peu sur moi.

Je me dis que je n’ai pas pensé à mes enfants de la journée - comme ça change!

Je me dis que je mangerais bien quelque chose - comme ça me ferait du bien!

Je me dis que je n’ai pas pensé au goûter de mes enfants de la journée - comme ça me fait du bien!


Avant de redevenir Madame Simon, professeure de français, j’étais maman, maman de 3 enfants qui ont tout le temps faim mais pas de la même chose ni au même moment de la journée, goûts et rythmes créant un roulement infini de goûters de 9h du matin à 18h50 le soir. Une banane pour l’un, un biscuit pour l’autre, les enfants, on fait le goûter, du yaourt ça vous va, non, plus tard pour toi, d’accord, mais pas trop proche du déjeuner, mais je croyais que tu voulais un yaourt finalement une banane mais tu vas la finir?

Maintenant que je suis Madame Simon de 8 heures à 17 heures et ne suis Maman que sur les bords de la journée (bords longs tout de même), je ne suis plus obnubilée par des goûters et pense surtout au mien, que je pourrais prendre dans ma salle de cours mais que j’ai encore oublié, alors que, pourtant cette salle feutrée, fermée, chaude, c’est un lieu idéal pour grignoter tranquille un petit quelque chose. La sonnerie stridente, celle de la fin de la récréation comme de mon retour au travail, sonnerait-elle donc le glas de mes prises de tête de goûter?


Ne vous en faites pas, le goûter est un adversaire têtu! Il n’abandonne pas sous prétexte que j’ai repris une identité civile. Il me poursuit le matin, qu’est-ce qu’il faut amener pour l’école déjà, le soir, il me reste des goûters pour demain, à tous les coups ils vont pas vouloir manger les bananes, il trouve son chemin dans ma vie à toute heure, entre deux cours, ah oui, commander les fruits, la semaine, elle livre les mardis, le week-end, les enfants, on fait des biscuits comme ça vous en aurez pour l’école?Comme un monstre dans les livres de mon enfance, le goûter se cache sous mon lit et, alors que je me pensais tranquille et en sécurité, dès que la lumière est éteinte, lui qui a patiemment attendu que passe le tunnel du dîner-bain-dodo, m’assaille de ses pensées: 22h15, lumières éteintes, prête à m’endormir, voilà le lutin qui brille dans le noir et arrive dans mes pensées: mince, ils sont prêts, les goûters de demain?


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