Moucher, pleurer

 

Batailles choisies #416

Moucher son bébé, le forcer à prendre des médicaments, se rappeler pourquoi notre société rend incompatible travail et enfants, être en colère, s’en vouloir.  💉


 

J’enserre Dernier avec mes jambes et lui maintiens fermement la tête sur le côté. Lui et moi livrons bataille. Lui parce qu’il se débat contre l’horreur du sérum phy et des médicaments, moi parce que je me bats contre mon petit bébé qui me résiste, pleure, tente de se dégager. Je le maintiens plus fort, lui ferme la mâchoire pour qu’il déglutisse et ne recrache pas le sirop orange, puis le rouge, puis le brun. 

Je déteste faire ça.

Je me déteste faisant ça.


Il est possible de trouver des méthodes douces pour donner des médicaments à un enfant. J’y réussis parfois, à force de cajolerie, de patiences, de chansons, de jeux. J’ai l’expérience des trois garçons, je sais que c’est possible. Je sais aussi, toujours d’expérience, que ce n’est pas toujours possible. Lorsqu’il faut le moucher de force ou le forcer à prendre des médicaments, je ferme mon cœur de maman mais je sais que c’est pour son bien : il est fébrile ou il a un traitement antibiotique à suivre strictement ou il est gêné dans son corps. c’est pour qu’il aille mieux.


Aujourd’hui, pourtant, c’est autre chose. Aujourd’hui, je me déteste parce que j’aimerais le garder à la maison une journée, pour lui laisser le temps de se remettre du petit rhume et de la petite toux amenée par le vent d’automne. Mais, au Chili, pas de jours d’enfant malade. Mon mari et moi devons aller travailler demain. Il faut qu’il aille à la crèche quitte à donner du sérum phy et médicaments à la force. Ça me met tellement en colère de me retrouver à le forcer, pas pour son bien, mais parce que, pour le monde du travail, son petit rhume et l’enfant qui va avec, ne devraient pas exister. Ça me met en colère de le maintenir ainsi, d’enchaîner les mouchages, de passer d’un médicament à l’autre, de le maintenir plus fort, plus serré alors que lui se débat plus fort aussi. 

Aujourd’hui donc, c’est autre chose: c’est une forme de violence. 

Une forme de violence que j’impose à mon bébé parce que c’est une forme de violence qu’on m’impose, de rendre incompatible mon travail normal, une existence normale d’enfant et une existence normale de mère.

Je m’en veux de ne pas avoir le recul, la hauteur, de dire : ce n’est que le travail, je perdrai quelques jours et c’est tout. Mais je n’y arrive pas. Je plie face à ce qui est le mieux pour moi qui travaille et pas ce qui est le mieux pour lui.


J’ai fini la séance de torture de mon petit bout. Tous les médicaments y sont passés. Le nez est dégagé. Il pantèle, moi aussi. Ma bouche pincée par la colère se délisse. Mon cœur fermé se réouvre doucement. 


C’est bientôt l’heure de la tétée. Je le regarde, boire goulûment, se rasséréner. Je respire de lui donner quelque chose de bon, de le caresser, de passer ma main dans ses cheveux fins tirant sur le roux. J’en veux au monde et je m’en veux, mais un tout petit peu moins.


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