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La vie nocturne
 

Batailles choisies #633

Lors de mes insomnies, je rumine, rumine, rumine mes jours, mes idées, mes colères, et ruine, ruine, ruine mes nuits, mes pensées, mes espoirs. 🥱


 

C’est le milieu de la nuit.

Quel milieu, me demandez-vous?

Je ne sais pas.

Peut-être deux heures, peut-être trois, peut-être quatre heures du matin.

Le milieu de la nuit.

Le même que toutes les nuits, quand Dernier se réveille et qu’il vient à petits pas rapides me chercher pour que je dorme dans son lit.


Jamais Dernier ne me réveille vraiment lorsqu’il arrive au pied de mon lit, puisqu’à la minute où les bruits de ses petits pas résonnent sur le parquet, mon radar sonne et mon cerveau s’allume avec un grand poum. Je bondis alors hors de mon lit, éveillée d’un coup d’un seul, prends Dernier tout ensuqué dans mes bras et vais me coucher avec lui, au chaud sous sa couette, dans l’espoir de terminer ma nuit. 

Sauf qu’à cette heure du milieu de la nuit, lorsque l’enjeu est immense, mon mode fonctionnement optimum est activé. Sensible à tous les bruits, écoutant les respirations des uns et des autres, je cherche à anticiper un réveil, un pleur, une envie de pipi, événements minimes qui pourraient nous mener tous à la catastrophe. Et tant pis si je sacrifie mon sommeil: il faut absolument, coûte que coûte, que les enfants dorment et ne se réveillent pas.

Au milieu de la nuit, sortent alors de sous la couette où ils se tenaient bien au chaud, les responsables de mes insomnies: mes petits soucis du jour à venir, les pensées pour les élèves difficiles dont je vois les visages et que j’essaie, mais c’est peine perdue, de chasser; les pensées pour les copies à corriger, les cours à préparer, les erreurs que j’ai faites avec les enfants des autres ou avec les miens, et des paroles de chanson qui arrivent comme un cheveu sur la soupe. Et ce Dernier qui continue à nous épuiser… qu’est-ce qu’on va faire pour que ça se passe bien à l’école… this ain’t Texas… et ce gosse, là, en sixième, qui a un déficit attentionnel terrible, comment peut-on faire pour lui apprendre la syntaxe? 

Je suis sur la mauvaise pente, celle du jour alors qu’il fait nuit noire. Comme trop souvent, je sens que je vais faire une insomnie, sauter un cycle entier de sommeil et devoir enquiller une journée sur un manque cruel de repos.


Je tente, tout de même, de me rendormir, essayant un peu ci, un peu ça, un peu le reste: me concentrer sur ma respiration, me dire cinquante fois “ne pense pas au travail”, ce qui, évidemment, ne marche pas. Horloge intérieure détraquée. Réveil matin-nuit.


Alors, dans le froid, dans le noir, mes deux concubines, Culpabilité et Colère, s’éveillent elles aussi. Je suis en colère contre tous ces parents qui, contre tous mes enfants qui, contre surtout tous les maris qui ne se lèvent pas la nuit, hein! Comme si c’était à moi d’être toujours au garde-à-vous et scoute toujours! Mais, peut-être que je n’ai pas fait assez pour donner de bonnes habitudes de sommeil à Dernier et que j’en suis là, dans son lit, par ma faute et aussi que j’ai trop accepté, encaissé, de Mari, quand j’aurais dû, simplement, imposer une nuit sur deux. Culpabilité et Colère sont toujours là, la nuit. Sans doute ont-elles attendu, tapies dans l’ombre, que j’arrive avec la faiblesse d’une gazelle boiteuse. Je partage leur couche, me tournant et retournant dans le lit de Dernier, du côté de l’une puis du côté de l’autre, allant de l’une à l’autre. 

Les heures passent, le noir ne faiblit pas. Le milieu de la nuit devait être deux heures et il doit être au moins quatre, ou cinq, temps passé à ruminer et à m’épuiser. 


Peut-être que je m’assoupis quelques minutes. Je ne suis plus sûre.

J’ai le sentiment de n’avoir pas dormi quand Dernier, lui, trouve qu’il est repu de sommeil et qu’il est l’heure de se lever.


Le jour pâle se lèvera, encore une fois, sur une longue, épuisante et traînante, journée.


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La preuve
 

Batailles choisies #619

Arrive-t-on à dépasser le sentiment d’être responsable d’un manque de son enfant? Ou passe-t-on sa vie avec un cœur pincé, à chercher des preuves qu’on ne l’a pas irrémédiablement affecté? 😞


 

J’ai déjà évoqué souvent cette culpabilité qui m’étreint avec plus ou moins de force, du pincement de cœur au serrement d’estomac, de l’inquiétude légère à la mauvaise nuit de sommeil, lorsque j’ai le moindre problème, la moindre difficulté avec Milieu, ou que, pire, lui, éprouve une difficulté. À chaque fois, je reviens à cette deuxième année de mon fils du Milieu, où, pendant plusieurs mois, il a manqué de sommeil, parfois plusieurs heures quotidiennes, sans que je réussisse, en pleine pandémie, accaparée par mes garçons, vivant avec ma belle-mère, sous son toit et sous son joug, incapable de faire changer des horaires que je ne contrôlais pas, à lui donner la possiblité de satisfaire un besoin physiologique si essentiel et dont j’ai peur que le manque ait créé des séquelles, des retards de développement, un manque de capacité d’attention, que sais-je encore - bien qu’aucune étude ne montre de lien entre ces deux éléments.


Alors quoi, c’est la rentrée de Milieu en grande section de maternelle, et il s’accroche à mes jambes en pleurant? Alors quoi, quand je lui demande ce qu’il a fait à l’école, il me dit “rien” d’un air mauvais, avant d’ajouter “j’aime pas l’école”?  C’est peut-être ce manque de sommeil quand il était petit… c’est sûrement ma faute?   


Je n’arrive pas à m’en défaire, de cette inquiétude logée dans mon cœur. Je vacille à chaque fois, entre l’impression que c’est un pressentiment de maman qu’il faut que je suive, et l’idée que c’est une peur idiote et irrationnelle qui non seulement est ridicule, mais qui en plus, nourrie de mes propres faiblesses et angoisses, m’embrume la vue, et m’empêche de voir ce qu’est mon fils, comment il est, comment il grandit. Je paie le triple prix: il n’a peut-être rien, et je m’inquiète pour rien; il n’a peut-être rien et je lui transmets mes angoisses qui peut-être, lui donneront quelque chose; ou il a quelque chose et c’est de ma faute.


Alors comment me sortir de cette mauvaise soupe de culpabilité? Il est si difficile de démêler ce qui est lié à sa personnalité et ce qui est lié à son développement... 

Je cherche, je regarde, je furète, à la recherche de preuves que oui, il va bien, que non, il ne se développe pas de travers, que non, il ne lui manque rien pour grandir, avancer, devenir quelqu’un. 

Non, sa petite enfance ne lui a pas laissé de traumatisme durable! Voyez pour preuve: il pose plein de questions, récite ce livre par cœur en y mettant le ton, a fait de grands progrès en français, est excellent en construction de Lego, joue au foot avec des enfants plus grands dont il devient facilement l’ami. Ou bien… est-ce de ma faute, s’il est si pleurnicheur, incapable de dire ce qui lui arrive, d’exprimer ses émotions, s’il se montre si fermé à partager, s’il n’aime pas et n’a encore jamais aimé l’école, s’il préfère lire seul (c’est-à-dire feuilleter un livre dans son coin) que d’apprendre les mots nouveaux que sa petite maman a si envie de lui faire découvrir?  


Ou bien, est-ce, juste, son âge, et je me monte la tête au court-bouillon

La mauvaise soupe… 

Simplement distrait ou manquant d’une connexion essentielle? Discret ou incapable de comprendre avec ses émotions? Plus de limitation pour la compréhension des langues ou habileté pour d’autres choses? Il est si difficile aussi de ne pas comparer Milieu avec son frère aîné, qui est scolaire, adore l’école, parle sans arrêt et aime que sa maman lui apprenne des choses.   

Ou ne serait-ce pas que le plus difficile, c’est de ne pas laisser sortir toutes mes angoisses, celles d’une mère qui se retrouverait bien mal en point que ses enfants ne réussissent pas par l’école, moi qui ne connais aucun ascenseur social hormis celui que j’ai moi-même emprunté?


Et quoi… cette note dans son carnet de correspondance, qui indique que Milieu a besoin de cours de soutien en vocabulaire…? Ce serait la… preuve?


Laisser faire, attendre, souffrir en silence, espérer que le plus gros problème de Milieu, ce soit moi.


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