Tout ou rien

 

Batailles choisies #427

Une angoisse d’écrivaine, que je maintenais à distance, vient me prendre aux tripes cette semaine: vais-je pouvoir continuer à écrire, en menant la vie que je mène? 🌊


 

Avec la reprise du travail, écrire devient difficile. J’ai, certes, plus de temps seule, sans mes enfants, mais je suis dispersée entre mon métier de prof, mes enfants, ma vie quotidienne. Le fil rouge de ma vie ces deux dernières années, qui était coûte que coûte d’écrire, auquel je me suis accrochée avec acharnement me semble, certains jours, certaines semaines, bien fragile. 

Il y a deux semaines, par exemple: je vois que tenir mon blog va être, précisément, intenable - trop de copies, trop de cours, trop d’écriture sur un autre projet. Je me dis que, pour mon bien, je n’écrirai pas cette semaine.


Lundi, je m’en mords les doigts! J’ai plein d’idées pour des billets, en enfilant les chaussures de Milieu, tiens, il faut que j’y pense, en dévalant l’avenue à vélo avec Dernier, parler de cette sonnerie qui me pèse et me libère, tiens, à la récréation, je vais noter qu’hier soir, Grand, avec un soupir plein de responsabilité, est allé tenir compagnie à son frère dans son lit pour qu’il s’endorme.

Mardi, j’ai des idées et de l’espoir, ce matin, je devrais avoir le temps de les noter entre deux cours, quand Milieu m’a dit avec son air coquin d’aller dans le jardin, Maman, vas-y, dans le jardin, avant d’essayer de chaparder un yaourt pourtant clairement interdit, comme s’il me disait Maman, va voir dans le jardin si j’y suis, dans une inversion des rôles assez comique. 

Mercredi, je me demande de quoi je pourrais parler, ce matin, en enfilant avec beaucoup de difficulté des petites chaussettes, je me suis dit quelque chose, je me souviens, j’ai pensé qu’il fallait que j’écrive quelque chose… c’était sur les chaussettes… mais quoi, déjà?

Jeudi, bon, ce week-end peut-être?

Vendredi: rien.

Cette semaine, je n’ai pas écrit un mot, et je n’ai même pas réussi à prendre de l’avance en écrivant pour la semaine prochaine! Semaine blanche, page blanche, choux blanc, c’est terrible.

Pire que n’avoir rien écrit, j’ai l’impression de n’avoir pas vu ce que je vois et ai envie de raconter d’habitude: je n’aurais donc, cette semaine passée, ni douté, ni aimé, ni pensé? C’est précisément pour ça que j’écris: pour que ma vie de mère reste, qu’elle devienne un matériau, qu’elle puisse entrer en littérature, qu’elle puisse exister hors de l’intimité d’un foyer, qu’elle fasse sens. J’ai absolument besoin de cette réflexivité sinon j’ai l’impression de vivre une vie parfaitement absurde, faite d’une suite ingrate de tâches domestiques et parentales sans âme, sans beauté, sans terreur. 


Écrire, pour moi, c’est avant tout m’astreindre à écrire régulièrement: si, tous les jours, je dois trouver quelque chose à écrire, alors je regarde mes jours avec une curiosité, une fraîcheur, une âme d’écrivaine. Une semaine sans écrire, et je ne sais plus écrire, pire, je ne sais plus regarder. Et je me sens asséchée. Cette écriture régulière, dans laquelle je me suis lancée au pire moment pour ma vie de famille, au moment du premier confinement, est une bouée pour moi: elle me guide, elle me permet de surnager, autant qu’elle donne à tout ce qui risque sinon  de couler dans l’oubli une plateforme où s’accrocher.

Il me faudra donc tout écrire, des plus petites disputes aux plus grandes joies, ou ne rien écrire et ne plus rien vivre. Il me faut donc me débrouiller avec mes vies parallèles et garder un temps, absolument, pour me pencher sur les fronts de mes enfants, y poser des baisers et y voler des billets.


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