Attends

 

Batailles choisies #478

Votre enfant de 6 ans est-il, comme mon fils, rebelle, colérique, et même, comment le dire poliment, un petit merdeux tête à baffes? Est-ce lui? Est-ce moi? Mais qu’est-ce qu’il se passe, en ce moment? 👿


 

Une énième crise, une énième dispute, une énième rébellion. 

Depuis quelque temps, j’ai l’impression que pas un jour ne se passe sans qu’on se dispute avec notre aîné. Il est dans une phase de rébellion terrible, répond avec insolence, se rebiffe, parle mal, provoque. Ne fusent de sa bouche que des menaces et des méchancetés, des grossièretés qu’il dit en sachant qu’il saute à pieds joints par-dessus la ligne des interdits. Parfois je comprends d’où viennent ses révoltes (disputes avec ses frères ou engueulade avec nous). Parfois, elles me semblent sortir de nulle part. Sa violence et sa colère n’en sont que plus impressionnantes et déstabilisatrices. 

Qu’arrive-t-il à mon Grand, si sage, si raisonnable, pour qu’autour d’un simple désaccord, il se mette dans cet état-là?

- Mais enfin, ramasse le dessin que tu as fait tomber! Je te l’ai déjà dit.

- (Piqué au vif) Alors je m’en vais. Je ne vais pas manger, je ne vous parle plus. Vous êtes la pire famille qui existe!

- Ne dis pas des choses comme ça.

- Si. Je les dis et je vais aussi jeter tous les dessins que je t’ai offerts.

- Non, ne fais pas ça. Et ne me parle pas comme ça!

- (En criant) Si, je te parle comme ça.

- Arrête tout de suite.

- (En criant et en pleurant) Non. 

- Arrête, j’ai dit.

- Non!

- Hors de question que j’accepte cette attitude. Tu t’excuses.

- Non! Je ne le ferai pas.

Une énième dispute, une énième impasse.

Comment en sortir? On a essayé les explications (ca fait du bazar, sinon), on a essayé la responsabilisation (je range suffisamment, c’est ton travail, là), on a essayé la colère (alors tu montes dans ta chambre!), on a essayé l’indifférence (tu ne nous parles plus, tant pis pour toi) et rien ne convient, rien ne me convainc, tout me laisse un goût amer, un sentiment lancinant d’échec, une blessure. Mais ce n’est pas ça que je veux comme famille, ce n’est pas cette relation que je veux avec mes enfants! Je suis désemparée, j’ai si souvent l’impression de faire fausse route: est-ce que je devrais être plus ferme? Ou au contraire laisser couler? Me fâcher davantage? Ou bien arrêter de me fâcher tout le temps?

Je m’ouvre à une collègue dont la fille aînée a le même âge… et le même sale caractère, la même rébellion, les mêmes coups de sang. Ma collègue me dit qu’elles ont vu pour ces difficultés une psychologue qui leur a conseillé de passer, toutes les semaines, un moment privilégié, juste sa fille et elle.  

En prenant de la hauteur, du recul, du champ, je vois bien que Grand est adorable quand il est seul avec son père ou moi. Les disputes commencent dès que ses frères sont là, dès qu’on doit le faire avancer dans la voie engorgée de la vie de famille. Durant nos vacances en France, il était souvent seul avec un adulte, il était écouté, il pouvait parler sans être interrompu. Grand lui-même, de retour chez nous après nos vacances, à peine franchi le pas de la porte, m'a lancé en pleurant alors que, déjà, on se disputait: 

- Voilà, j’étais sûr! J’étais sûr qu’il allait se passer ça!

- Qu’il allait se passer quoi?

- J’étais sûr qu’on allait tout le temps se disputer et crier dès qu’on serait rentrés à la maison, voilà, je le savais.

Grand a besoin d’attention. Il est certes l’aîné, mais c’est quand même un enfant, qui se construit, qui veut qu’on le regarde, qu'on l'écoute, qu’on recherche sa présence. Mes trois enfants attendent de moi quelque chose que je ne peux pas donner: du temps. Chacun en a besoin, à égalité, et chacun s'accommode de son mieux d’en manquer. Si je réfléchis à Grand, je remarque qu’il est celui qui a le moins de temps avec nous. Évidemment, je suis accaparée par Dernier. Milieu est assez autonome, mais il a des moments où il faut l'accompagner, la douche, le coucher, le dîner, des moments où il est le centre de l’attention. Grand, qui est autonome, n’a donc, de son point de vue, que des désavantages: il fait tout tout seul et il doit toujours s’adapter aux autres. 

Ma vie, le soir, le week-end, c’est de dire: “attends”. Tout ce que je dis à mes enfants, et en particulier à mon aîné, c’est “attends”. Le mot que je répète le plus dans ma vie, c’est “attends”. Attends Grand, j’habille ton frère, attends Grand, je range la cuisine, attends Grand je dois absolument faire une lessive, attends Grand, je suis fatiguée, je n’ai pas envie de lire ce livre.

Quel moment privilégié ai-je avec mon aîné? À quel moment a-t-il mon attention? À quel moment n’a-t-il pas besoin de la réclamer, à corps et à cris, à pieds et à poings, à hurlements et à ruades? Peut-être, le soir, quand ses frères sont couchés, je pourrais lui lire, à lui, rien qu’à lui, une histoire? Peut-être aller faire des courses? Peut-être lui demander quand on peut avoir un moment ensemble, ou lui avec son père? 

Attends, mon Grand, on va trouver une solution.


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