Une importante leçon

 

Batailles choisies #482

C’est un de ces jours où être maman a beaucoup de sens, où derrière le quotidien ingrat brille toute la beauté d’une humanité en construction: mon fils aîné vient d’apprendre quelque chose de très important. 🖼


 

Assis sur le canapé côte à côte, Grand et moi lisons une bande dessinée qu’il a empruntée à la bibliothèque de l’école. Ses frères dorment. Ce sont les précieuses minutes qu’on a, son père et moi, à lui consacrer exclusivement avant qu’il aille se coucher. Dehors, nuit noire, vent froid, menace de pluie. Dedans, coeurs chauds, peaux douces, temps suspendu.

Au milieu de la lecture, au milieu d’une phrase, au milieu de rien, surgit une pensée de Grand:

- Maman, en fait, je voudrais reprendre les cours de peinture.

J’en reste pantoise. Cette phrase vient percer le confort de la routine familiale hebdomadaire qu’on a mise en place au retour de nos vacances en France.

- Mais Grand, reprends-je stupéfaite, c’est toi qui m’as dit que tu voulais arrêter! Tu m’as dit que tu ne voulais plus parce que tu n’avais plus le temps de jouer.

Grand reste en silence. Le volume de ma voix augmente avec mon incrédulité:

- Et puis, tu m’as même dit qu’il était ennuyant, le cours avec Carolina!

Je n’ai pas particulièrement envie de reprendre les sprints du mardi soir pour arriver à l’heure au cours de peinture, et avant cela avoir récupéré à l’heure Dernier à la crèche et avant cela avoir récupéré à l’heure les grands à l’école. Pourtant, j’ai ressenti beaucoup de peine qu’il veuille arrêter et encore plus de culpabilité: peut-être serait-il devenu le prochain Monet? Peut-être qu’il faut pousser ses enfants à s’améliorer, à se dépasser? Peut-être que je dois sacrifier un peu de mon confort si mon enfant s’en trouve mieux? En même temps, mon ange a dit à mon mauvais démon qu’enchaîner les activités extra-scolaires pouvait être plus stressant pour les enfants que bénéfique, avant d’ajouter que je pouvais le laisser faire son choix. Avec un pincement au cœur, en me mordant la langue et en me tapant sévèrement sur les doigts, j’ai dit : d’accord, on arrête la peinture. 

Alors, venir troubler l’eau calme que je m’étais efforcée de créer autour de nous! Venir remettre en question, en venir à douter, revenir en arrière!

Grand reste en silence encore un instant. Puis, posément, en articulant pour bien concevoir et bien énoncer, il me dit:

- En fait, Maman, ce qui se passe c’est qu 'à un moment, ça m’a ennuyé la peinture, mais si je continue, j’apprendrai des choses et je ne m’ennuierai plus.  

 

Grand vient d’énoncer avec simplicité une leçon qui servira toute sa vie: il peut dépasser son ennui. Il peut aller au-delà d’une difficulté passagère ou d’un découragement pour trouver un sens renouvelé à une passion, un loisir, ou même une obligation. Inculquer à mes enfants le sens de l’effort me préoccupe beaucoup: j’ai peur qu’ils abandonnent à la moindre difficulté, qu’ils ne voient pas pourquoi il faut travailler quand on veut obtenir quelque chose, qu’ils ne voient pas à quoi bon s’efforcer. Grand me montre que je peux voir les choses autrement: ce n’est pas tant le sens de l’effort qu’il faut travailler, mais le sens tout court. On dépasse son ennui parce qu’au bout de l’ennui, on arrive au sens. L’apprentissage trouve alors un objectif, un objet même, malgré les phases, irrégulières, inévitables, imprévisibles, d’enthousiasme facile, d’effort pénible, d’ennui décourageant.  

Ce soir, la maternité est un cadeau: Grand et moi discutons, ouvertement, simplement, de ce qu’on aime, des efforts nécessaires pour parvenir à ce qu’on aime faire, du sens qu’on met nous-mêmes et pour nous-mêmes à une activité:

- Tu sais, les enfants qui font du foot aussi, vivent ça aussi.

- Ah bon?

- Ben oui, par exemple A., le grand frère de ton amie, je sais qu’il fait du foot deux fois par semaines. De temps en temps, il ne doit avoir aucune envie d’aller s’entraîner!

- Et certains soirs, tu crois qu’il a vraiment zéro envie d’aller au foot? 

- Ah ben sûrement!

- Et tu crois que, même quand il s’ennuie un peu, il continue, et après il ne s’ennuie plus et il est content d’avoir continué?

- C’est certain! 

Pour moi aussi, en réalité, les choses fonctionnent ainsi: combien de fois j’en ai eu marre de mon roman, de mon blog, de mes 6e, de la chorale, combien de fois j’en ai eu marre, j’ai eu des velléités d’arrêter et puis je suis passée au travers de l’ennui, je suis passée à une autre étape, ai franchi un palier de mon apprentissage, parce que c’était important pour moi, parce que j’y trouvais du sens. 

La maternité m’offre ce soir un bouquet de fleurs sauvages, celles qui poussent sans qu’on y prête attention, qui n’ont l’air de rien mais qui sont les plus belles, et qui sont les plus beaux cadeaux. 

Mon fils apprend par lui-même. Grâce à ses tâtonnements, il comprend ce qui est bon pour lui. 

Grandir, s'épanouir et apprendre. Être parent, regarder fleurir et apprendre.


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