Pause

 

Batailles choisies #529

Une soirée et une nuit en amoureux avec son homme, sans enfant. Miracle.  ⏯


 

Et Milieu n’a rien mangé? Tu as changé la couche de Dernier? Attends, Grand, on arrive! Non, mais enfin, les enfants, jouer avec les coussins, combien de fois, on vous a dit, c'est pas des jouets! Qu’est-ce qu’il chouine, Dernier… il doit être fatigué, il faut se dépêcher et ne pas rater le train de la sieste, allez, le déjeuner, vite, vite, les enfants, on se presse!


Pause.


La course dure depuis bientôt sept ans. Bientôt sept ans que nous sommes parents, qu’on court tout le temps, partout, qu’on voit sans cesse s’éloigner la ligne d’arrivée qui se moque de nous en méchant mirage. Bientôt sept ans qu’on est parents, d’abord parents, toujours parents, que pas une seule seconde on n’arrête, que jamais on n’a eu l’occasion de passer une soirée, encore moins une nuit, encore moins un week-end juste tous les deux. On en a tellement besoin! On aimerait tant!


Une pause!

Oh, une pause!


Rewind.

Ça ne s’est jamais fait, en sept ans. On a bien essayé une fois, quand on n’avait que Grand, mais la soirée a tourné à la catastrophe, le petit désespéré nous appelait éploré, abandonné comme un orphelin, la grand-mère désespérée nous a appelé et au milieu de la nuit, on a fait le check-out de l’hôtel et on est rentrés soulager enfant et Abuelita.

Après cet échec, les étoiles ne se sont plus alignées: Grand était suffisamment grand, mais Petit était trop petit; puis le confinement en a demandé beaucoup à ma belle-mère et il nous semblait trop délicat de lui en demander encore un peu plus; puis Petit est devenu Milieu et Dernier était trop petit; puis, nous sommes parents de trois enfants, trois enfants jeunes, bruyants, chamailleurs, qu’on n’offre pas comme un cadeau - mais qu’on prête en promettant de revenir les chercher très très bientôt. 


Pause.

Ce week-end est notre anniversaire de rencontre avec Mari (17 ans!) et mon anniversaire (38 ans!). Ma belle-mère a décidé que non, décidément, on ne pouvait pas, encore une fois, encore une année, ne rien faire. Je viens chez vous, je m’occupe des enfants. Vous passez le week-end à Santiago. 

Pause.

C’est bien vrai?       


Pause.

On s’enfuit en catimini de la maison. Dans la voiture, il n’y a que silence, soleil, douceur. Plus de cris ni de demande ni de chouineries. On ne va pas bien loin, au cas où bis repetita: à la capitale, Santiago, si près de notre banlieue, si loin de notre vie pressée dans laquelle la moindre sortie est une montagne. Mais puisque les enfants ne sont pas avec nous, on peut profiter de la vue sur la Cordillère des Andes, sous un splendide ciel d’été.  


Pause.

Un restaurant pour le déjeuner.

Un massage en cadeau pour mon anniversaire.

Un restaurant pour le dîner.

Une chambre au onzième étage.


Pause. 

Cela faisait si longtemps que je n’avais pas ri autant avec Mari, si longtemps que nos discussions ne se font qu’en courant, nos projets en marathonant, nos disputes en passant. Un moment sans les enfants nous offre un beau cadeau: retrouver l’amoureux derrière le parent.


Pause - c’est la nuit.

J’ai dormi de 23 heures à 8 heures du matin. Quelle grasse matinée!

On se dépêcherait bien pour profiter d’être tous les deux, mais on suspend encore un peu le temps, on ne se presse pas, on se réveille mollement. On n’a rien à faire - incroyable.

Pour faire plaisir à Mari, on part faire une promenade en amoureux chez Ikea - oui, l’amour conjugal consiste à accepter les loisirs de sa moitié avec le sourire de la bienveillance. On se balade dans les rayons, on n’a rien à faire ni rien à acheter vraiment, juste à rêver de ce joli salon, de cette cuisine impeccablement nette, de cette entrée où ne traîne aucune chaussure, de cette salle de bain où les flacons sont en nombre minimal. Mari et moi nous attardons longuement dans le rayon des chambres d’enfants, où des étagères mignonnes avec des boîtes en plastique me font imaginer un lieu où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, silence et gosses bien élevés. Dans cette boîte, les voitures, dans celle-ci, plus petite, les crayons et puis, ce sera plus facile à ranger le soir et… Pause. J'arrête la moulinette du doux rêve: ce sont nos enfants. Même avec les plus beaux Flädrast et ses décoratives boîtes Yülite, les jouets déborderont de partout et ce sera le bordel comme d’habitude.     


Fin d’Ikea.

Pause. 

Encore un peu de temps à deux.

Encore un restaurant.

Bientôt, pourtant, le temps nous rappelle que ce n’était qu’une parenthèse. Il faut refaire les valises, ranger les jolis vêtements et ressortir les fripes spéciales enfants que je porte en continu depuis sept ans. Tout s’accélère, c’est l’avance-rapide jusqu’à la fin de notre moment à deux, jusqu’à notre banlieue, jusqu’au pas de la porte qui, à peine passée, renvoie les cris, bientôt les frustrations, bientôt les disputes. Et le déjeuner? La sieste, ça a été? Grand, tu peux attendre un peu, j’essaie. Milieu, tu n’as encore rien mangé? Il faut absolument trouver un truc pour le faire manger…    


Bon, ben…

Play.


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Heloise Simonmari, amour, parenthèse