Vlan

 

Batailles choisies #531

Avoir des enfants ne cessera jamais de vous mettre des claques. 🫲


 

Tout se passait bien. On enchaînait les jeux, on était un peu au salon, un peu au jardin, un peu à la cuisine. On avait deux heures tranquilles à passer avant d’aller chercher Dernier à la crèche, deux heures où, quand je n’ai que mes aînés, j’ai la délicieuse impression que j’en ai presque, presque, fini avec les galères de la petite enfance.


On met une chanson, on fait une ronde, on se prend les mains en riant quand Milieu, qui n’est pas très club, se met à chouinasser.

Vlan! 

Grand lui met une claque.

Milieu reste interdit quelques secondes avant de se laisser aller à un gros pleur de giflé.

Je reste interloquée deux traînantes secondes avant d’articuler difficilement: “mais pourquoi tu as fait ça?”

Les chamailleries entre mes enfants, entre Grand et Milieu ou entre Milieu et Dernier, sont mon quotidien. Elles donnent à mes journées un air constant de menace, un parfum de mauvais augure, une couleur explosive. Mais d’habitude les disputes montent, elles savent se faire annoncer, elles sont prévisibles, elles viennent de loin avec des sabots qui claquent.


Là, pourtant, d’où sort-elle, cette claque?   

- Enfin, Grand… qu’est-ce qu’il s’est passé? Comment tu peux faire ça? Regarde ton frère! Il se sent super mal!


Prise par surprise, prise au dépourvu, prise entre deux priorités, réconforter et disputer, je reste abasourdie et furieuse, le cul entre deux chaises.

- Il n’avait rien fait, ton frère, tu ne lui as même pas laissé le temps de dire ce qu’il se passait, d’expliquer. Et vlan, une claque, mais enfin! Jamais, jamais, on ne fait ça.

- C’est parce qu’il chouine. Et quand il chouine, il est pénible.


Grand adore embêter Milieu de toute sa hauteur de frère aîné, faisant le donneur de leçon, jouant au parent, réprimandant. Cette attitude est un soufflet pour Milieu autant que pour moi: qu’il est horripilant, Grand, à péter ainsi plus haut que son derrière. Ma parade consiste en temps normal à dire que ce n’est pas son rôle, il n’a pas à traiter son frère comme ça et autres litanies parentales. 

Mais je suis sonnée.

Vlan! Quelle claque dans cette journée plutôt douce!

Quelle claque dans mon impression de sortir du tunnel…

J’ai surtout l’impression que Grand n’a rien appris. Qu’il n’en est nulle part. Que je n’en suis nulle part.  


Je me lance dans mes récriminations classiques sur lesquelles Grand tourne simplement les talons et en me narguant qu’il ne m’écoute pas, qu’il ne se sent pas mal, que c’est bien fait pour Milieu. 

- Et puis de toute façon, je ne te réponds pas si tu me cries dessus.

Vlan.

Insolent. Inatteignable. Imperméable à mes mots, que j’essaie pourtant de peser, de dire avec justesse.


Les souvenirs de livres de parentalité, lus surtout pendant mes deux premières grossesses et qui prennent la poussière depuis, m’apparaissent bien lointains. Réagir de son mieux, efficacement, avec fermeté et bienveillance; dire ce qui est le plus adapté; laisser couler quand il faut ou ne rien laisser passer quand il faut: depuis quelques années, j’ai la même sensation de réussite que si je lançais une pièce au fond d’un puits: bof. Je suis démunie, me sens piétinée, retente différents angles, me prends différents murs, bouillonne de colère et de honte, je me sens complètement piétinée par un sale mioche.


Grand entre dans sa bouderie caractéristique. Dans ce cas, voilà, il arrête la musique, voilà, il ne joue plus avec nous, il détruit la cabane qu’il avait faite et il va dans le salon. Je laisse bouder. Il ne s’est pas excusé. N’a pas l’air de regretter. Ne semble pas se sentir mal. Je ne sais pas si je me suis fait marcher dessus ou si j’ai pris du recul.


Quelques minutes passent, la grêle de pensées noires est passée. La bouche pincée, je continue de jouer avec Milieu, sans trop d’enthousiasme, toute à mes doutes et mes taloches maternelles qui brûlent les pommettes.


La tension finit par retomber. Depuis le jardin, je vois Grand bouder assis dans le salon. 

Il a un air réfléchi.

Je ne peux rien faire de plus que de tendre l’autre joue.

Avec un peu de chance, il réfléchit.


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