Et si c’était vrai?

 

Batailles choisies #538

Je me prends à rêver de ce jour où les enfants seront mignons, joueront ensemble et n’auront pas toujours besoin de nous. Serait-ce parce qu’aujourd’hui m’a fait entrevoir que ce rêve un peu fou était quasi à portée de main? 🌦


 

Mes enfants ont été adorables aujourd’hui. Oui. adorables. Oui. Les trois. Oui. Toute l’après-midi.


Vacances riment en général pour moi avec inquiétude. Je me retrouve seule avec les trois enfants tout ou partie de la journée, je passe mon temps à tenter de combler les besoins des uns ou des autres, écartelée entre des demandes contradictoires, je dois prendre sur moi pour ne pas tourner chèvre et je finis malgré tout épuisée, aliénée, ne sachant plus comment je m’appelle. Vacances riment en général pour moi avec pétage de cable.


Néanmoins, cette année, quelques bonnes décisions (le matin, crèche pour Dernier et centre aéré pour les aînés) et un peu de chance ont mené au rebondissement incroyable, à la situation fantastique autant qu’inespérée suivante: j’ai mes matinées pour travailler, les enfants reviennent contents de leurs occupations respectives, chacun a eu sa vie, nos retrouvailles sont plutôt douces, on ne se dispute presque pas. Et si c’était vrai, que c’est à partir de maintenant qu’on va se régaler, d’avoir eu des enfants rapprochés? Et si c’était vrai qu’il y a un moment dans la vie d’une famille nombreuse où les difficultés minimes et gigantesques de la petite enfance se lèvent comme les nuages après une tempête, alors qu’ils semblaient ne jamais vouloir se dissiper? Et si c’était maintenant? Comme si ma vie était un roman feel-good, de ceux dont le titre indique que ça commence assez mal et que ça finit très bien, je me vois obligée de me demander: et si c’était vrai?


Alors, emportés par l’élan de l’optimisme débridé, nous décidons de faire une sortie dans un centre de loisirs, sortie qui va bien se passer, regarde, on prend des ballons, on passera un petit temps aux jeux avant d’aller à la piscine, c’est bon, les enfants ont bien grandi! 

La sortie commence sur des chapeaux de roues flapada, parce qu’on part un peu plus tard que prévu, elle se poursuit en se dégonflant comme un ballon qui rend l’âme parce que les enfants se disputent les balles dont ils ne veulent pas faire la même chose, elle enchaîne sur une belle baffe de réalité pour moi puisque Dernier, affamé, d’une humeur massacrante, fait une crise d’envergure terrible, m’arrosant de coups de pieds, de coups de poings, de griffures, épanchant des larmes pleines de haine pour moi. Je ramène tant bien que mal une boule de nerfs qui se braque, se cambre et continue sa symphonie en regrets mineurs, avant de s’endormir dans la voiture sur la route du retour.


Rien ne fait plus ressortir la Médée en moi que les ratages de sieste. Rien. Je deviens, face à un gosse qui ne veut pas s’endormir, face à un gosse qui s’est endormi trop tôt, face à un gosse qui se réveille trop tôt, une harpie. Une horreur. J’ai le rictus figé, la gorge nouée, les larmes au bord des yeux, l’espoir en berne. Dans la voiture, alors que Dernier dort lourdement, alors que je pèse mes options les moins pires pour le reste de la journée, alors que je m’en veux, terriblement, d’avoir fait cette erreur de débutant, d’avoir cru trop tôt, d’avoir eu trop confiance, de m’être laissée emportée par un optimisme dangereux, là où tout parent sait que seul le pragmatisme sert de guide, je me répète: mais c’est pas vrai, c’est pas vrai, c’est pas vrai… 


On a cru qu’on avait trois enfants déjà grands. On a cru que c’était vrai, que nos chaînes de la petite enfance avaient été rompues. On a pris nos désirs pour des réalités.

Et si ce n’était pas maintenant, la libération?

Et si c’était encore un peu trop tôt?

Et si ce n’était pas encore tout à fait vrai?


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Batailles rangées⭣

Heloise Simonsortie, espoir