En voiture!

 

Batailles choisies #537

Des (mauvais) goûts musicaux de mes enfants, du bon usage de la voiture et des vertus de la surdité. 🙉


 

Mes enfants ont ce qu’on appelle en termes techniques des goûts de chiottes en musique. Le moindre trajet en voiture est un voyage dans les bas-fonds du quatrième art, des synthés sans pitié et des mélodies chamallows. Pour survivre, je m’accroche au volant comme Ulysse s’enchaîne au mât de son navire. En dépit de cette ruse, impossible d’éviter les lubies par lesquelles passent mes garçons, impossible d’éviter les disputes si chacun n’a pas écouté sa chanson du moment. Venez, lecteurs et lectrices, montez avec nous, tendez l’ouïe, tentez l’aventure - et enlevez donc cette cire de vos oreilles.


Dernier Pam Pam


- Mais quoi? Quoi? Qu’est-ce que tu veux? 

- Pam pam!

- Pam Pam?

- Pam Pam!

- Quoi Pam Pam?

- Paaaam paaam!

Dernier, du haut de ses presque deux ans, ne se laissera pas jouer par ma sourde oreille. Pour s’en faire entendre, il hurle simplement plus fort. Je sais bien ce qu’il veut, j’ai bien compris, oui. Il veut écouter sa dernière lubie: la marche militaire de l’armée chilienne, la bien-surnommée Pam Pam. Qui a eu l’idée géniale de lui mettre la première fois et d’associer aux trompettes et caisses claires des pas cadencés, percussions et tapes du pied - parfaites pour un bambin? On ne lave pas le linge sale en public - d’ailleurs, Chéri, si tu pouvais éliminer cette grosse tache musicale que tu as faite… Bref. 

Mise à part qu’écouter des marches militaires à 8 heures du matin me pèse autant sur l’estomac qu’un thé noir trop infusé, la chanson a un petit côté… comment dire… sans mettre les pieds dans le plat… sans gaffe culturelle… une certaine tonalité de droite… facho… pinochetiste, quoi. Dans un pays où la dictature de Pinochet n’est éloignée que d’une génération, balader ma voiture et ses flonflons militaires dans le quartier pourrait bien me valoir des jets d'œufs pourris. En même temps, Dernier, à son âge, est un tyran, avec ses demandes et ses exigences. Et puis, bon, il est si content, mon mini-dictateur, à mimer la cadence de la marche dans son siège auto avec ses petites jambes. Finalement, Pam Pam, c’est comme pour l’âge qu’il a maintenant - je n’ai plus qu’à me dire: pourvu que ça lui passe comme un boulet de canon.


Milieu Wi Wi


De mes trois enfants, Milieu est celui qui a les goûts musicaux les plus proches des miens. Oh, rien de bien savant ni noble, juste de la pop à la mode mais chouette, une bonne musique de voiture. Quand j’ai la chance d’avoir eu le droit de mettre une chanson qui me plaît à moi, Milieu, souvent, m’en fait un retour positif: - Encore! - Tu aimes bien? - Oui!

Le seul désaccord, la seule pierre d’achoppement dans notre relative entente musicale, ce sont ces chansons terribles, horribles, affreuses, ces hamsters, ours en peluche et autres grenouilles animées qui chantent de leur voix la plus synthétique en style blue-da-ba-dee-da-ba-daï, des refrains complètements ineptes. Ce sont les chansons Wi Wi, petit surnom affectueux que je donne à ces horreurs abêtissantes. Lorsque je démarre la voiture et la playlist enfant d’un même coup d’accélérateur, je prie pour que les Wi Wis ne se pointent pas. Par pitié, au moins des classiques des chansons enfantines, de belles mélodies… par pitié, pas les grenouilles qui pètent, les pingouins qui ricanent et les marmottes qui rotent, par pitié, vite, vite, next, next…

C’est sans compter qu’entre le léger décalage pour passer à la suivante dès que je vois que le nom de la stupide chanson s’affiche avec menace sur l’écran de la voiture, les premières notes qui jouent quand même et l’oreille attentive de Milieu, je me retrouve souvent face à un “celle-là!” abattu d’un coup joyeux et autoritaire - de massue.

- Celle-là!

- Hein?

- Celle-là!

- Ah, celle-là!

- Non pas celle-là! Celle avant!

- Tu es sûr? On pourrait changer un peu, non… j’en ai une qui pourrait te plaire…

- Non! Celle avant!

- Bon, bon… je remets la chanson du hamster, alors?

- Wi Wiii!


 

Grand Boom Boom


Mon aîné a eu une passion fulgurante bien que pas assez passagère à mon goût pour la Macarena. Oui, oui, la Macarena, tube de ma jeunesse, chanson qu’on a écoutée en boucle pendant de longs mois à chaque trajet en voiture, passion dont ses frères ont hérité. La Macarena, c’est la bande-son des six ans de mon aîné, lorsqu’on allait, entre deux confinements, lorsqu’on va encore, comme aujourd’hui, tenter d’occuper nos après-midis sur l’esplanade d’un micro shopping center, où se faisaient face un petit magasin d’alimentation, une boutique de déco, un glacier et une enseigne de cours particuliers. Cette enseigne… j’y ai souvent pensé et j’y pense souvent encore. J’y vois des enfants de tous âges passer le temps, apprendre quelque chose, sans doute oui, mais un peu de tristesse me pince toujours, d’imaginer qu’on offre déjà du soutien à ses enfants, si tôt, si jeunes, du soutien ou bien juste un endroit où attendre que Papa et Maman aient fini de travailler, où aller plus vite que les autres pour que Papa et Maman soient fiers et puissent narguer les voisins. J’espère avoir la chance que mes enfants soient bons à l’école pour éviter ce genre d’endroit…

Une mélodie de tristesse, d’abandon, se dégage - je ne sais pas bien pourquoi, alors que j’ai moi-même donné des cours de soutien, n’y voit aucun sujet de honte - des panonceaux indiquant “mathématiques” ou “anglais”, comme des bouées à la mer.


La glace terminée, les vêtements et les mains nettoyées de mon mieux, il est temps de rentrer à la maison. Un peu de musique, les enfants?

- La Macarena!

Bien sûr, la Macarena…

La playlist passe bientôt à autre chose, la ronde de mauvais tubes dansant de la même époque, les Barbie Girl, les Mambo number 5 et autres odieuseries d’oreille jusqu’à ce qu’on s’arrête sur Boom boom boom.


Oui, Boom boom boom boom.

Oui, vous la connaissez, ne faites pas genre….

Boom Boom, des Vengaboys…


Boom, boom, boom, boom

I want you in my room

Let's spend the night together

From now until forever

Boom, boom, boom, boom

I wanna go boom, boom

Let's spend the night together

Together in my room


Je passe cette chanson.

- Non, Maman, non. Celle-là, celle que tu viens de mettre. Celle Boom boom.

- Ah… d’accord. Tu aimes bien?

- Oui. beaucoup, dit-il d’un air ravi, avant d’ajouter, d’une voix traînante, subjuguée. C’est la plus belle chanson du monde…


Je vais peut-être demander si l’agence de cours particuliers propose des cours d’éveil musical.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣