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Chanson pour soi
 

Batailles choisies #645

Et si je dédiais à moi-même une chanson pour moi-même? On a bien le droit d’être mère et de chanter têtue à tue-tête, non? 🤫


 

Depuis que je vis au Chili, je veux chanter. Rechanter. Retrouver le plaisir de chanter dans des chœurs, en chorale, comme je le faisais en France. Replonger dans l’écoute des autres voix, dans les découvertes de nouveaux répertoires, dans les difficultés de passages qu’on ne maîtrise pas jusqu’à ce qu’on les domine finalement (au moins à peu près). Chanter pour les autres, pour les concerts et les noirs délices du trac, chanter pour soi, pour se donner à fond, pour se dépasser.


Sauf que ce loisir plaisir désir m’a longtemps échappé - pendant huit ans exactement, mais qui compte avec précision, n’est-ce pas?

Je n’ai pas pu, non, depuis que je vis ici.

Pas l’occasion - pour que chorale existe, il faut un monde culturel plus vaste, un tissu associatif plus serré. 

Pas le temps - le soir, je dois écrire, préparer les repas, remplir les appréciations, câliner des grognons, répondre aux questions.

Pas le courage - trente minutes de bouchons pour aller jusqu'à Santiago, conduire la nuit, revenir à point d’heure et être levée au point de l’aube quand même.

Pas l’énergie - couchée à 21 heures, cours à partir de 19h? Ah mais c’est trop tard par rapport au tunnel dîner bain dodo.

Pas l’argent - chaque année, au moment de la rentrée scolaire, quand les enfants choisissent leurs activités extrascolaires, je me dis que cette année, on va faire des économies, on va pouvoir se permettre, je vais pouvoir me permettre ce plaisir pour moi sans culpabilité. Et puis, chaque année, le budget pour moi passe après celui pour les enfants, je préfère que Milieu fasse son foot, Grand son escalade, et je n’arrive pas à me le permettre.


Mais, cette année, j’ai décidé que j’avais le droit. Le droit de chanter. D’avoir un désir plaisir loisir. Que j’allais me permettre de me le permettre.


Le prof de chant est à la maison, c’est ce que j’ai trouvé de plus approchant d’une chorale, c’est mon premier cours, je suis toute heureuse.

Il manque quinze minutes pour que Mari prenne la relève, alors les enfants sont là, participent à l’échauffement vocal - non, bien sûr que non, ce serait trop facile d’avoir de bonnes conditions: ils hurlent et font des batailles de coussins pendant que je tente de chanter, rechanter, et pour l’heure déchante un peu.


N’écoute rien.

N’écoute pas les hurlements. 

N’écoute pas ta culpabilité, voix intérieure qui te dit que quand même ça fait un budget.

N’écoute pas ta déception d’entendre ta voix sortir si rouillée après tant d’années sans pratique musicale.


Ou plutôt écoute, si, écoute tout. 

Écoute ces notes, écoute ces rythmes qui te demandent de te concentrer, écoute ta peine d’avoir tant perdu musicalement après tout ce chemin parcouru, écoute les enfants qui ne veulent pas encore te laisser exister seule et pour toi seule, écoute leurs plaintes et mets-les dehors, écoute le plaisir des vibrations, écoute ta voix encore claire, écoute les harmonies, écoute cette musique que le prof a choisie et qui ne te plaît pas beaucoup mais peu importe puisque c’est juste pour chanter et rechanter.

Profite juste du plaisir d’un moment à toi.

Écoute cette chanson qui n’est qu’à toi.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

C’est ton anniversaire…
 

Batailles choisies #587

…C’est pas celui de ta mère! Ni de ton père? Ni du collègue de ton père? 🔂


 

Dernier est inquiet: où est Papa? Y mi papa? Papa? Mon papa?

Papa? Papa est à Viña. Il est allé voir un collègue. Un ancien collègue. Pour son anniversaire. Oui, il va lui amener des cadeaux. Et lui chanter joyeux anniversaire. Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire, joyeux aaaaanniversaire, joyeux anniveeeersaire… Mais il rentre demain. Demain matin.


Lorsqu’on a deux ans et que nous étreint une peur terrible que son père disparaisse à jamais, alors qu’il est simplement allé passer la soirée chez un ancien collègue, on passe son temps et, présentement, sa soirée, à demander y Papa? Mi Papa?


La première fois que Dernier me pose la question, je donne toute l’explication. Papa? Papa? Papa est à Viña. Il est allé voir un collègue. Un ancien collègue. Pour son anniversaire. Oui, il va lui amener des cadeaux. Et lui chanter joyeux anniversaire. Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire, joyeux aaaaanniversaire, joyeux anniveeeersaire… Mais il rentre demain. Demain matin.


La deuxième fois, j’enlève les informations superflues. Papa? Papa est allé voir un collègue pour son anniversaire. Oui, il va lui chanter joyeux anniversaire. Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire, joyeux anniversaire, joyeux anniversaireeuh… Il rentre demain matin.


Et à mesure que Dernier continue de me demander, de me poursuivre de son Papa, papa, y mi papa?, à mesure que je comprend que cette pensée va le turlupiner les prochaines heures d’éveil, je réduis de plus en plus l’information: Papa, papa? Oui, à un anniversaire! Il va chanter joyeux anniversaire, joyeux. Puis, enfin, quand j’en suis à la quinzième, dix-neuvième, trente-septième répétition de l’explication qui pourtant était assez nette et bien ficelée, je ne donne plus que la substantifique moelle qu’une mère fatiguée de répondre aux besoins émotionnels de son enfant a encore le courage de donner: Papa? Joyeux anniversaire, joyeux anniversaireuh…


La soirée se passe donc en cantabile impromptus de joyeux anniversaire, la maison entière résonnant de chants célébratoires aux moments les plus incongrus, au beau milieu d’une phrase sur les camion-toupies, entre deux cuillères de dessert, en regardant le chat du voisin traverser le jardin, alors qu’on a déjà enlevé le t-shirt mais pas encore le pantalon pour aller dans la douche, en courant tout nu, en lisant la première page de Tchoupi au marché, la deuxième page de Tchoupi au square, la troisième page de P’tit Loup va à la piscine et toutes les pages de Tchoupi va à la plage - Viña del Mar, où Mari passe sa soirée, étant au bord de la mer, sans doute fallait-il s’attendre à ce que le moindre seau, la moindre pelle et le moindre parasol ne fassent naître la question “et Papa?” ainsi que la réponse “joyeux aaaanniversaire, joyeux anniveeeersaire”.


Il est l’heure du dodo, Dernier, si, si. Papa? Oui, après joyeux anniversaaaaireeeuh, il va rentrer, oui. Et ton anniversaire à toi? Ah ben, c’est pas tout de suite… il reste quelques mois.

Si Papa refait des sorties comme ça, tu vas pouvoir bien t’entraîner à chanter la chanson.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣