Progrès

 

Batailles choisies #553

Où sont donc passés les progrès de mon petit Dernier? ⏫


 

En réfléchissant à mon blog il y a quelques jours, je me suis rendue compte que l’étiquette “progrès” était un peu tombée en désuétude. Je n’ai pas utilisé ce tag depuis longtemps alors qu’il a été, à certaines périodes de mon blog et de ma vie, un de mes favoris. Le jour où Milieu a compris que les pieds des gens portaient des chaussettes, le jour où Grand a su faire du vélo, le jour où Dernier a appris à dire “non” et ces dizaines de fois où mes enfants ont appris, ont compris, ont trouvé, sont devenues des billets de blog, souvent pleins de tendresse et de fierté maternelle. En y réfléchissant de plus près, celui dont j’ai le plus consigné les progrès est Milieu. Langage, motricité, personnalité, je suis certaine, même si je n’ai pas vérifié précisément, que c’est lui que j’ai vu grandir le plus nettement.

Pourquoi? Mais parce que nous avons été confinés un beau jour de mars 2020 pour presque deux ans, deux longues années de confinements, de déconfinements et de reconfinements. Je l’ai donc beaucoup vu, à un moment de sa vie (de dix-huit mois à trois ans) particulièrement éprouvant pour moi, chaque minute, chaque heure, chaque jour passé à ses côtés, chaque instant à essayer de l’occuper pour survivre et arriver à la journée suivante. Au plus sombre de cette période, je me rappelle avoir eu l’impression d’avancer dans une brouillard épais, dans une purée de poix qui était pourtant régulièrement percée de ces petits moments merveilleux qui font qu’être parent prend tout son sens: ce jour où il a su faire des phrases complexes, ce jour où il a commencé à jouer tout seul en se fabriquant dans la tête des petites histoires de camions et de machines, ce jour où il a pris la grande descente devant la maison en trottinette en réussissant à freiner avec le frein plutôt qu’avec ses semelles de chaussures, cet autre jour où il a commencé à quantifier et compter. Milieu aura été, avec beaucoup de culpabilité, celui que j’aurai le plus détesté de mes trois garçons mai,s avec beaucoup de lumière, celui, aussi, que j’aurai le plus admiré.


En continuant de réfléchir à ce que je consigne ici, dans mon blog, ce que, peut-être, un jour, mes garçons liront avec curiosité et amusement, comme on regarde des albums photo et qu’on se revoit, en maternelle, en CE2, en sixième, je me rends compte également que je ne consigne plus les progrès de Dernier. Pourtant, ces derniers mois, il ne s’est pas ménagé! Il sait dire de plus en plus de mots, commence à lire un livre (entendez: regarder les images) assis sur le tapis et absorbé par sa lecture, s’entraîne au dérapage contrôlé de trottinette et pleins d’autres choses qui montrent qu’il est en plein boom!


Sauf que Dernier est mon dernier. Mon dernier enfant, mon enfant de la dernière goutte d’eau, mon der des ders. Alors ses progrès, je ne les vois plus comme des progrès. Je les traîne comme des boulets, je les souffle comme des “j’en ai marre” et les expire comme des “enfin!” Enfin, il est capable de s’occuper une dizaine de minutes tout seul! Enfin, il joue avec ses frères sans nous réclamer! Enfin, il ne crie plus pour dire qu’il a faim, mais plutôt vient au frigo pour montrer ce qu’il veut! Enfin! 

Ce n’est pas de sa faute, non. C’est juste que je peine à m’émerveiller de ce qu’il apprend, quand tout ce que je veux, c’est qu’il devienne un enfant, pour que je redevienne une femme plus libre, et non une mère prisonnière de ses gosses. Il est bien vrai que mes trois enfants n’auront pas du tout eu la même mère, ou plutôt qu’ils en ont eu des versions différentes. Ils n’auront pas non plus eu la même mère-écrivaine, la même chroniqueuse. Je crois que pour Dernier, pauvre de lui, l’étiquette “progrès” a été remplacée par l’étiquette “exaspération”.


La lassitude, heureusement, se laisse encore amadouer. Ce soir, assis à la table du salon, les garçons dessinent. Grand des arcs-en-ciels et des fleurs, Milieu des bonshommes et des bonnes femmes approximatifs… et Dernier?

Dernier a attrapé un crayon jaune avec lequel il a exécuté un gros gribouillis. Il le montre du doigt avant de s’exclamer “mion-tèrne!”

- Hein? 

- Camion-terne! 

- Ah, camion-citerne!

- Oui.

Puis, il prend un crayon bleu et lance: “mion-toupie!”

- Un camion-toupie?

- Voui.

De sa voix forte et décidée, de son air tout fier, il appelle alors immédiatement son père qui est dans la cuisine: Papa, garde! Camion-terne! Camion-toupie!

Dernier a une mère fatiguée, mais il a une mère fière quand même.

Quels progrès dans sa petite tête! 


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