C’est la vie

 

Batailles choisies #552

Les disputes, les batailles, les réconciliations, c’est la vie… de famille, non? 🚹


 

Je veux bien débarrasser la table, vider le lave-vaisselle, le remplir, ranger toute la cuisine, préparer les lunchbox pour demain, avec les goûters, collations et entrées, plats, desserts, ok, les garçons, je fais tout, mais je ne demande qu’une chose: que vous jouiez tranquillement entre vous. Voilà, vous allez dans le jardin, ou à l’étage, et vous vous occupez comme vous voulez, mais vous me laissez ranger la cuisine et faire tout ce que j’ai à faire. J’en ai pour une demi-heure à peu près, ok? Après, promis, on fait un jeu tous ensemble, chat perché, un jeu de société ou un long temps de lecture, comme vous voulez.


Bien sûr, c’est lorsque je suis vraiment fatiguée et que j’ai besoin d’avoir des enfants coopératifs qu’ils sont horribles, individualistes et égoïstes. Bien sûr, au bout de trois minutes, alors que la pile de vaisselle s'amoncelle encore et que rien n’est prêt pour l’école demain, j’entends résonner les piailleries, commencer les criailleries et dégainer les chamailleries. Bien sûr, Milieu entre en trombe et en pleurs, Dernier arrive en furie et en chaussettes et Grand se pavane en caleçon et en grand frère taquin. La soirée tourne rapidement à l’eau de boudin. Chaque minute que je passe à câliner, réconforter et réconcilier, je les perds à ne pouvoir m’occuper des affaires pour demain.


Bref, les gosses et leurs mauvaises têtes, ce soir, ils me font regretter ma vie. Oh, ce n’est pas du tout la vie que je voulais! Oh, laisser la cuisine dans cet état pour m’occuper des bains et des couchers, et devoir la retrouver, toujours dans cet état, à 21 heures, alors que je ne demande qu’à me retrouver un peu moi, plutôt qu’à retrouver encore leurs tâches et leurs problèmes, à eux, mes fils! J’en ai marre, de cette vie, et j’en ai marre d’avoir l’impression que j’élève des garçons qui jouent et s’amusent en me laissant une pile d’assiettes sales, sans lever le petit doigt. C’est moi qui élève ces gosses-là?  

Je me fâche.

-  Et voilà, c’est l’heure de la douche, et je n’ai pas réussi à ranger la cuisine! Les bentos ne sont pas prêts! Ben, je ne vous remercie pas, hein! Je vais devoir redescendre après le coucher, alors que j’ai plein de travail! Vraiment, vous ne comprenez pas! Je vous demande juste de me laisser tranquille et non, vous vous disputez bêtement, méchamment. Allez, tout le monde à la douche alors!


La bouche crispée par la colère, je savonne, je shampouine et je rince, puis j’habille et je borde dans un même mouvement. Milieu qui papillonne et oublie vite, me demande d’une petite voix douce: 

- Maman, tu peux me lire un livre?

- Non, non, je vous ai dit. Vous n’avez rien fait pour la cuisine, elle est dans un état… il va falloir que j’aille la ranger, alors non, je n’ai pas le temps de lire un livre, ni de rester avec vous pour vous endormir. 

Je finis ma tirade par un bisou fâché, un “bonne nuit” hargneux et un “débrouillez-vous” entre les dents avant de redescendre achever ces lunchboxs qui ont l’art de m’achever.


Depuis le bas, j’entends Grand sangloter. Je connais ces larmes, ces hoquets si particuliers. Grand pleure ainsi quand il sait qu’il a dépassé les bornes, quand il sait que ma colère est justifiée, quand il sait qu’il a mal agi. Il le sait… mais il n’a que sept ans. Dans une dernière rebuffade, il sort de sa chambre et depuis l’escalier, crie à mon endroit: “et puis je ne dors même pas, d’abord!” 

Je réponds “ça m’est égal”, ou une autre huile sur le feu de ce genre et continue ma corvée. Un temps passe. L’escalier vexé me fait parvenir un “je ne te dis même pas bonne nuit, en plus”. Quelques minutes plus tard, alors que j’en suis encore à décider si je mets des raisins au goûter du matin et des biscuits à celui de l’après-midi ou l’inverse, j’entends des petits pas et vois arriver Grand dans la cuisine. D’une voix calme et tranquille, il me demande:

- Je peux t’aider à ranger la cuisine, Maman?

- Oui, mon chéri. Tu peux mettre les dernières choses dans le lave-vaisselle, moi j’ai presque terminé de préparer les goûters. Pour toi, raisin le matin et biscuits l'après-midi, ou l’inverse?

- Raisin le matin, s’il te plaît.


Trois gestes plus tard, tout est prêt. J’éteins la lumière de la cuisine, migre au salon, m’assois lourdement dans le canapé et souffle. Grand, qui vient de finir son petit travail, se met tout contre moi et dit:

- On lit un petit livre, alors?

- D’accord, mon doux. 

Grand a emprunté à la bibliothèque de l’école un livre de recettes sur les macarons. Il se rappelle parfaitement de ces délices qu’on avait été déguster à Santiago, dans une pâtisserie française bon chic bon genre, il y a un an et me demande, après avoir lu une ou deux recettes, quand on pourra y retourner. Bientôt, bientôt…C’était lesquels tes préférés? Celui à la violette! Et à la vanille! C’est un moment sucré que nous passons tous les deux après une soirée amère. À la fin de la lecture, il me fait un grand câlin qui est doux comme le regret.

Je le regarde et, en retenant mes larmes (la fatigue me tient à fleur de peau), je dis doucement:

- Mais Grand… on passait une bonne soirée… hein, on était tranquilles, et il a fallu que vous vous disputiez, comme ça!

- Ben quoi, Maman, c’est la vie!

- C’est la vie?

- Ben oui, toi avec Tonton Hadrien et Tata Eléonore, vous vous disputiez beaucoup. Et maintenant, vous ne vous disputez plus. Donc c’est la vie!

- D’accord, mais elle pourrait être plus douce si on y mettait tous du nôtre, tu ne crois pas?

Oui, mais je pense que si on allait acheter des macarons, on ne se disputerait plus jamais et on aurait la plus belle des vies.


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