Mouiller le maillot

 

Batailles choisies #551

Milieu est fraîchement inscrit à un club de foot, le samedi matin. Le deuxième entraînement de sa vie est moins pire que le premier. High five? ⚽️


 

Milieu est… comment dit-on déjà en termes positifs pleins d’éducation bienveillante? 

Ah oui, Milieu est un chouineur. 

Un gros chouineur. 

Non: un chouineur de compétition

Il a passé toute l’année de petite section à s’accrocher à mes jambes au moment de le laisser à la maîtresse, a commencé l’année de moyenne section sur le même mode, hurlant comme si on lui coupait un bras sans anesthésie parce qu’il faut entrer dans une classe avec ses petits camarades et a pour trait de caractère principal de faire son timide, refuser de participer à une activité nouvelle et de préférer regarder les enfants s’amuser plutôt que de jouer lui-même.


Avec cet historique, l’inscrire à un club de foot, dans des terrains, là-bas, derrière la station service, où il ne connaît personne, dont nous avons payé d’avance l’année, était-il une bonne idée? 

Mais oui! 

Le centre aéré cet été s’est très bien passé alors qu’il n’avait aucun petit camarade dans son groupe! Et puis il faut bien qu’il réussisse à dépasser sa timidité! Et, si j’avoue, si je suis honnête, je suis bien obligée de reconnaître qu’il est bon au foot, mon petit Milieu: il a un beau tir, un geste précis, élégant, même! Mon cœur de maman fond lorsque j’arrive à la garderie en fin d’après-midi et que je le vois en plein match au milieu d’enfants plus âgés, heureux comme tout. Et mon esprit de maman l’imagine déjà, futur Messi, M’Bappé franco-chilien, carrière internationale, trajectoire tracée, réussite à laquelle son inscription à un club de foot à l’âge de 4 ans et demi aura contribué. Sans doute, les entraîneurs me prendront à part et me diront: il a du potentiel, votre fils, il faut qu’il poursuive dans cette voie. 


Donc c’est une bonne idée, ce club de foot, hein?


Milieu, Grand et moi arrivons en avance, histoire d’avoir le temps d’observer le terrain, de se familiariser, ah, là, les entraîneurs arrivent, oh, les beaux ballons, et ton petit camarade de l’école, Nicolas, c’est génial qu’il soit inscrit aussi, non? Milieu regarde le terrain, les enfants, les ballons. Il reste à côté de moi, en se dandinant de son air timide, faisant non de la tête quand je lui propose avec amour d’aller jouer avec les petits camarades. Patiemment, je regarde l’entraînement défiler autant que Milieu, devant lequel passent les ballons et les futurs Messi. Au bout de cinq minutes, j’insiste un peu plus, sentant filer ma patience, mon amour et mon argent gâché.

- Milieu, dis-je fermement, on a dit que je t’achèterai un camion de pompiers, tu te rappelles? Mais le camion, c’est seulement si tu participes à l’entraînement. Si tu restes sur le côté à regarder, c’est hors de question que je t’achète un jouet.

Face à tant de bienveillance, Milieu ravale sa colère, ses larmes et sa fierté et commence à traîner ses pieds en direction du terrain. Pour l’encourager, Grand décide de l’accompagner. Tous deux s’assoient à l’extérieur du groupe, Grand écoutant, tout bon élève qu’il est, les instructions des entraîneurs pendant que Milieu, de loin, me tire la langue. Milieu est donc sur le terrain, ce qui est, certes, un pas dans la bonne direction, mieux que le banc de touche, mais pas encore de quoi le prendre en photo pour alimenter ma fierté maternelle. 


L’échauffement commence, les petits sauts, les talons-fesses, les genoux-poitrines. Grand se prend au jeu, sautille, exécute de balourds pas chassés, une tête au-dessus du groupe dans lequel les enfants ont entre 4 et 6 ans, pendant que Milieu reste assis ou tente deux sauts en direction contraire à celle des ballons et des instructions. Tout l’échauffement se passe dans cette participation le cul entre deux chaises, pour mes fils, pour moi. J’ai plutôt honte et mes rêves d’avoir engendré un Messi s'envolent avec les mouches qu’observe mon fils plutôt que de courir après les ballons. À y regarder de plus près, je trouve mes fils bien ploucs: les autres garçonnets ont la tenue complète, brillante et propre. Grand a mis n’importe quel short et n’importe quel t-shirt. Milieu, qui a voulu mettre son maillot du Chili (retrouvé dans le fond d’une boîte à vêtement en taille 2 ans) et un short bleu parce que les shorts de foot sont bleus, m’a-t-il dit (un short de pyjama de Dernier, un peu trop grand pour Dernier et encore à la taille de Milieu qui est décidément maigrichon) est donc habillé avec des vêtements trop petits et très moulants.

Pff, mais quelle dégaine, ils ont… Je ne suis pas bien fière de mes gosses, il faut le dire et commence à envisager sérieusement mon Milieu, moins en M’Bappé franco-chilien, et plus en Jean-Claude sur le canap à boire des bières et crier “à mort, l’arbitre!”.


Quand, enfin, après l’échauffement, on passe au match, je me dis que sûrement, ça va le motiver. Un des moniteurs tente d’attribuer une équipe à Milieu qui se carapate dès qu’il lui adresse la parole vers le fond du terrain et reste de longues minutes à regarder les matchs des enfants plus grands sur les terrains adjacents. De longues minutes passent. Des buts sont marqués. Le match poursuit son joyeux cours pour les enfants des autres, son triste cours pour moi et les miens. Grand joue à demi, courant avec sa tête de plus et ses deux pieds gauches au milieu des petits. Milieu trottine entre les deux équipes, les blancs et les chasubles jaunes, seul dans son maillot rouge qui fait que personne ne lui passe la balle. D’autres minutes, d’autres buts. Grand, qui sue toujours comme un goret, a le t-shirt trempé. Milieu n’a pas transpiré une goutte. À un moment, tout semble se résoudre et je sens dans mon cœur l’élan de l’espoir: un des moniteurs demande à Milieu s’il veut jouer. Je distingue depuis le banc de touche que Milieu fait un oui enthousiaste de la tête et se met à trottiner derrière le moniteur qui l’amène vers un grand sac de sport dont il sort un chasuble rose (sans doute n’a-t-il plus de jaune). Milieu, qui a dû croire qu’on allait lui donner le tant attendu maillot du club, reste interdit puis fait non de la tête et repart lambiner, tout déçu, dans un coin. Alors que les gosses sont ravis, se high-fivent, crient de joie, sont les meilleurs M’Bappé d’eux-mêmes, Grand et Milieu finissent par jouer ensemble, à lancer, je dirais bien des patates, mais je crois qu’il s’agit davantage de citrouilles.


Coup de sifflet final. 

Fin du match, de la torture lente et du délitement de mon rêve de maman - c’est votre fils? Ah, il a beaucoup de potentiel…

- J’ai bien joué, Maman? me demande Milieu, tout heureux.

Si mon fils veut devenir Messi, si je veux être la mère d’une étoile du football, il va vraiment falloir qu’on mouille le maillot.


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