Team building

 

Batailles choisies #489

Une session de team building, ou tout ce qui ne va pas avec le monde. 🎾


 

À un club de sport où j’ai emmené mes enfants, qu’il faut occuper en ce jour férié, Grand et Milieu m’ont suffisamment tannée pour que j’accepte de jouer au tennis. Mari a acheté un set de raquettes et de balles, il faut bien l’utiliser; je me dis qu’ils joueront surtout entre eux deux et que je pourrai m'asseoir un moment pour regarder le paysage; il faut bien occuper les journées, je l’ai déjà dit. Je vais bien sûr échouer à rester assise et vais courir après de mauvaises balles en soufflant d’exaspération, mais j’y reviens plus tard.

À côté du terrain où nous sommes, se tient de toute évidence une session de team building puisque deux équipes de trentenaires et de quadras font des exercices parfaitement ridicules au son d’une musique trop forte et de cris d’encouragements. Mes garçons n’arrivent pas à jouer, regardant ce qu’il se passe à côté tantôt avec curiosité, tantôt avec fascination, tantôt avec stupéfaction. Il est vrai que les activités préparées par des coachs ayant, je n’en doute pas, d’excellentes idées et des intentions tout aussi bonnes, sont, pour le moins, stupéfiantes: cinq ou six cadres, yeux bandés comme pour colin-maillard, marchent en file en se tenant par les épaules et tentent de suivre un parcours marqué par des plots de couleur, posant leurs pieds, gauche, droite, gauche, droite, dans une marche militaire maladroite, au son d’une chanson de reggaeton. Un peu plus loin, d’autres cadres marchent, en file également, à l’intérieur d’une large bande élastique noire, qu’il faut faire avancer comme la roue d’un hamster, en tenant les rebords avec leurs mains bien en l’air, et en faisant coïncider leurs pas. Ainsi déguisés en courroie de transmission, ils doivent se rendre à un bout du terrain où l’un des membres de l’équipe sort de la roue, enfile un chapeau en forme d’entonnoir inversé et sert de panier de basket à un autre membre de l’équipe, qui n’a, d’après mes observations, que deux essais.

Quel spectacle! Les garçons restent scotchés, bras ballants, raquettes inutilement pendant de leurs mains, à écouter les tubes de l'été passés, les cris primaux, les “vas-y” dits avec énergie, les applaudissements de stade de foot et les tapes dans le dos de vrais mecs.

Je me rappelle pourquoi je déteste et ai toujours détesté les activités de team building: un environnement majoritairement masculin (il n’y a que deux femmes parmi les chanceux), des hommes qui beuglent des mots qui se veulent encourageants, des activités risibles, des compétitions et des points, le tout saupoudré d’une efficacité de marketing. Rien d’étonnant, donc, à ce que j’ai choisi un métier où je ne risque pas de croiser de telles activités. 

Nos regards finissent par sortir de leur hypnose pour revenir à notre partie de presque-tennis. D’un côté du filet, je lance des balles, de l’autre côté, Milieu et Grand font du vent avec leur raquette dans l’espoir qu’une heureuse coïncidence fasse se rencontrer la balle et la maille. Milieu, avec toute son énergie, avec toute sa concentration, rate balle après balle, malgré ses gestes secs et précis. Grand, avec ses gestes maladroits et flasques, réussit de temps en temps à me renvoyer la balle, même si le plus souvent elle termine au fond du cours, hors du terrain ou dans le filet. En ce qui me concerne, lorsqu’enfin une balle revient de mon côté, je ne suis pas en reste puisque je cours mollement, en soufflant d’exaspération, peine à renvoyer la balle, qui part complétement à droite ou à gauche. On est ridicules et on est même trop nuls pour s’amuser réellement. Au bout d’un moment, j’en ai marre:   

- On arrête les garçons?

- Non! On continue!

- On arrête, s’il vous plaît, c’est pas très amusant…

- Non, on n’arrête pas.

- Non, mais, les enfants, j’ai dit oui pour vous faire plaisir, mais franchement, je n’aime pas le tennis et en plus, je suis nulle!

- Mais, non, mais non, Maman, tu n’es pas nulle! s’insurge presque Grand, en plongeant ses yeux dans les miens, portant beau son air sérieux de grande personne, de garçon qui a tellement grandi. Regarde, nous avec Milieu, on n’arrive même pas à toucher la balle. Donc, tu y arrives bien, ma petite Maman. 


Ça fait du bien, un peu d’encouragement. Bon allez, encore quelques balles.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Heloise Simonsport, ridicule, frères