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Savoir perdre
 

Batailles choisies #655

Il est aussi difficile pour mon fils d'accepter que la vie ne devient jamais facile, que pour sa maman (moi) d'accepter qu’avoir des enfants ne devient jamais facile, et reste toujours, toujours, ardu. 🦒


C’est le troisième et dernier jour d’une compétition d’escalade pour Grand. Je n’ose plus le regarder parce que c’est la quatrième voie qu’il rate de suite. Je connais suffisamment mon fils pour savoir qu’il est en plein tourbillon, que la frustration est en train de le consumer de l’intérieur, qu’il va se mettre sous peu à venir râler à côté de moi, se plaindre, geindre, dire qu’il n’y arrive pas, avec son ton de voix si particulier, vexé, orgueilleux et puérile, qui me déplait tant chez lui.

Contrairement à la voie nº13, ça ne rate pas. Grand vient, larmes aux yeux, bouche pleine de fiel et de rage:

- J’abandonne. Voilà, j’abandonne. J’arrête.

J’essaie de considérer, de ma hauteur de girafe, ce problème de mouche - formule, conseil donné par un ancien instituteur de Grand (regarder les problèmes de nos enfants comme ceux d’une mouche pour une girafe) qui veut dire qu’il faut prendre de la hauteur, ne pas se laisser entraîner par des problèmes d’enfants, même si on meurt de se mettre dans le monde de nos insectes.

- Ah, d’accord, dis-je simplement de ma voix à l’indifférence travaillée.

- J’arrête. Je suis nul. Je n’arrive à plus aucune voie. Et puis je n’ai réussi que de la 1 à la 10!

- Ben, repose-toi un peu, bois de l’eau et tu verras si tu veux réessayer d’autres voies, réussis-je à dire avec un calme parfaitement feint.

Pourtant, en moi-même, je souffre, je suis tiraillée, je pense tout et son contraire. Je me dis que bon, il fait encore son fainéant. Je tente de ne pas être si dure, et de me convaincre, avec une inquiétude et déception certaine, que son enthousiasme pour ce sport, que j’aime tant qu’il pratique, s’est peut-être tout simplement émoussé… Ou qu’il doit juste apprendre à réessayer, qu’il doit apprendre le sens de l’effort et puis c’est tout, hein!


- Maman, je veux plus jamais faire de compétition d’escalade. Regarde, là il y a un enfant de six ans qui a fait la voie 27! Et moi j’arrive même pas à faire la 11!


Non, je crois que la souffrance de Grand, contrairement à la mienne, vient de la réalité des choses: il regarde autour de lui, et voit des enfants plus petits qui réussissent bien mieux que lui. Il sent en-dedans qu’il est loin, loin du podium de la compétition, qui lui restera sans aucun doute inaccessible. Il sent qu’il n’est pas à la hauteur. 


C’est dur, hein, quand on adore faire quelque chose mais qu’adorer ne suffit pas, n’est pas la clé ultime. On adore, certes, mais on est loin d’être le meilleur. On adore, certes, mais rien ne vient facilement. On adore, certes, mais d'autres adorent tout autant et réussissent plus, plus aisément, plus vite. C’est un apprentissage important pour Grand, que de distinguer la réussite et l’accomplissement. On s’accomplit, pour soi, pour son propre regard, alors qu’on réussit pour le regard des autres. C’est une leçon essentielle de savoir qu’on peut suivre sa passion, et travailler pour s’y épanouir, éventuellement y exceller, plutôt que de se laisser guider par ce qui nous sort le plus facilement. Mais cette leçon est douloureuse, elle blesse l’ego et fissure quelques certitudes. 


Et elle n’est pas douloureuse que pour Grand. Grand pleure de frustration de ne pas réussir la voie 12 pour la troisième fois. Mais moi aussi, en-dedans, je pleure. Voir ainsi mon fils peiner, être lourd, manquer d’agilité, tomber, encore et encore! Et, pire, regarder autour de lui, voir ces autres enfants qui y arrivent bien mieux! Pour la maman que je suis, c’est également un apprentissage

J’ai rêvé, souvent, très souvent, pour mes enfants, d’une passion facile, d’un talent inné, d’une réussite éclatante. J’ai imaginé des dizaines de fois Grand en champion d'escalade, Milieu en ballon d’or, Dernier en guitariste classique ou en champion de vélocross. Et certes, je rationalise, pour me rassurer, me disant que Grand a raté plusieurs cours d’escalade, a commencé plus tard, n’est pas très souple, ne fait pas partie d’un club, est fatigué et mille autres choses encore. Alors que la vérité est que c’est à moi de me dire que mes enfants doivent apprendre le travail, la difficulté, qu’ils n’ont pas à réussir pour me faire plaisir, pour satisfaire mon ego. Mais qu’ils doivent vivre, en travaillant, en essayant, en gagnant, en perdant.

En grandissant.

En vieillissant.

 

Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Le foot pour les nuls
 

Batailles choisies #622

Un match de foot amical pour l’anniversaire du meilleur ami de mon fils, ou le combo gagnant qui ne gagne pas grand chose. ⚽️


 

C’est l’anniversaire d’A., le super copain de Milieu, son coach personnel, entraîneur mention ballon rond, avec lequel il joue tous les jours à taper dans les buts. 

C’est l’anniversaire d’A., sur le thème du foot bien évidemment, et tous les invités ont sorti leur plus beau maillot, Milieu inclus. 


L’ambiance est au foot, ça oui! L’anniversaire se tient sur une partie d’un terrain du club local, tous les cotillons, gobelets en plastique, assiettes en carton, pop-corn débordant de seaux motif gazon et balles blanches et noires, participent à la fête. Côté bande sonore, c’est pas mal non plus, puisque que deux clubs du coin s’affrontent sur le reste du terrain, les bleus contre les rouges, gamins d’une dizaine d’années soutenus par les coachs, les parents, les oncles, les grands-parents, et tout le bled.


Papa, Grand, Milieu, Dernier et moi traversons cette ambiance de soir de grand match, avec le sourire: ça va être une super après-midi! Occupation sportive à l’air libre, enfants nourris (certes de chips), moment de partage.

Combo gagnant.

 

Milieu ne veut pas jouer.

Grand donne des coups de pied dans des cailloux sur le bord du terrain et attend que sa meilleure amie, J., la sœur d’A., arrête de jouer avec sa cousine et remarque qu’il est arrivé.

Quant à Dernier, il tourne autour du banquet en réclamant des chips, du coca, des biscuits, des chips, du coca, des biscuits, des chiiips, du cooocaaa, des biiiiscuits!


Évidemment, rien n’est simple quand on a trois enfants. Rien ne roule comme sur des roulettes.


- Mais Milieu, tu vas jouer, quand même? Dernier, non, non, on ne peut pas manger le gâteau sans l’anniversairé! Grand, mange en attendant que J. veuille jouer avec toi.


Les amis de A. ont tous dix ans, Milieu est donc intimidé de jouer avec des enfants de presque deux fois son âge. Il regarde, depuis un petit coin, pendant un bon bout de temps, et secoue continuellement la tête quand il est invité à mouiller le maillot. Dernier ne comprend pas qu’il est trop petit pour participer au match et va chiper la balle sous les huées des joueurs. Grand s’est rasséréné d’être ignoré en attaquant son deuxième hamburger. 


Le temps passe et, miracle, Milieu enfile un maillot qui lui arrive aux genoux mais c’est pas grave. Miracle, Grand a accepté de participer au match, il jouera avec J., les deux étant aussi indifférents au sport l’un que l’autre. Miracle, Dernier s’est rassasié de cochonneries et va taper des tirs au à peu près but avec son père. Le temps passe et, révélation, je regarde tout ce petit monde et je me dis… 


Dis donc, ils sont nuls au foot, les gamins.


À part Milieu et un autre gamin, élancé et bronzé, qui ont un mouvement plutôt élégant, un geste sportif leste et précis, sinon les autres ont la classe d’une grume, la précision et légèreté d’un lanceur de troncs, l’accélération d’un pousse-pousse et le jeu d’ensemble d’une volée de mouettes. Alors qu’à côté de nous, les bleus contre les rouges jouent leur vie, avec un talent ou au moins une application certaine, de ce côté du terrain, c’est les Brêles contre les Nases. Volées de travers, mêlées à huit, centre-droit qui slice sérieusement vers la gauche, tête qui touche plus l’air que le cuir, coup de pied mode robot, regroupement style auto-tamponneuses.

- Allez, pour la fin du match, encouragent les entraîneurs, on va faire des penaltys!

Grand marque, sans élégance, mais avec une efficacité de constructeur d’autoroute. Milieu ne veut pas tirer parce que tout le monde le regarde. A. s’élance, tire, frôle le poteau du haut et voit partir son but au-dessus des grilles, en même temps qu’un anniversaire victorieux. Il s’effondre, en larmes, sur le terrain, inconsolable, malgré les tentatives mouchoirs de ses parents. Un deuxième penalty, pour lequel l’entraîneur insiste qu’A. retente sa chance, est arrêté par le gardien. Nouvel effondrement. 

Coup de sifflet final. Milieu, qui n’a aucune conscience des émotions des autres, va demander à son super copain, à son coach personnel, qui a encore les yeux rouges et bouffis s’il veut faire des tirs au but. 

Combo perdant. 


C’est heureusement l’heure du gâteau. Le trop plein de sucre et de gras redonne de la joie à tout le monde. Les premiers enfants partent, les parents se dispersent, il ne reste que mes enfants aux mains grasses et deux ou trois joueurs chevronnés. On s’échange des passes, on taquine le ballon, on retrouve le sourire, A. sèche ses larmes.


Un frère aîné vient chercher son cadet. Il regarde les joueurs quelques minutes, voit A. rater encore un but et lâche, fort et avec une franchise toute naturelle: 

- Dis, donc, au foot, ils sont drôlement nuls!


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