La spirale

 

Batailles choisies #589

Comment arrêter un 7 ans qui vous déteste, déteste toute sa famille et entre dans une spirale d’invectives pénibles et méchantes? En oubliant un peu ou beaucoup l’éducation positive. 🌀


S’il y a bien une chose que l’éducation positive ne m’a pas appris à faire, c’est à savoir comment réagir à un sale gosse méchant qui s’est lancé dans une litanie de reproches blessants - présentement, mon fils de 7 ans et demi.


- Je vais partir de cette maison.

- …

- Je vais partir et je vais plus jamais revenir.

- …

- Je vais plus jamais revenir et comme ça je serai plus jamais grand frère.

- …

- J’aime pas être grand frère.

- …

- J’aime pas avoir des frères.

- …

- Je veux avoir aucun frères.

- …

- Je veux même plus faire partie de cette famille.

- …

- Je t’aime pas.

- …


Et vous, comment compléteriez-vous ce dialogue? Que mettriez-vous dans ces points de suspension? Comment réagit-on face à ces traits ingrats et petits tirés par son enfant, qui ne veut pas aller se doucher?  


Pendant longtemps, j’ai pris sur moi, j’ai laissé ce déferlement de colère se terminer, j’ai laissé les émotions emporter mon fils, je les ai même encouragées comme une expression bénéfique de ce qu’il ressentait. L’éducation positive m’a aussi appris à me décentrer, à me demander d’abord si le sale gosse n’a pas tout simplement faim, s’il n’est pas tout simplement fatigué, s’il ne lui est pas arrivé quelque chose aujourd'hui, à l’école, à la garderie, au sport, qui fasse qu’il se déleste sur quelqu’un qui ne lui fera pas payer très cher, qui, ce soir, dans une heure ou dix minutes, aura déjà passé l’éponge sur ces souillures verbales, à savoir sa maman. 


Mais le décentrement, là, présentement, ne marche pas. Grand vide son sac, lançant les tomates pourries de son verbe à la ronde, et franchement je suis fatiguée. Après tout, je n’y peux rien s’ils se sont disputés avec Milieu et que je me suis fâchée contre les deux - ils avaient tort, d’une manière ou d’une autre, autant l’un que l’autre. Je n’ai pas l'énergie de prendre la tangente en changeant de sujet et je contrôle mon envie primale d’entrer dans la danse, parce que je ne dois pas me laisser embarquer dans sa spirale de colère, je ne dois pas me faire aspirer par des émotions d’enfant.  


- Je comprends que tu sois fâché, mais…

- Vas vite te doucher et après je te montrerai un nouveau livre que j’ai acheté.

- Il est hors de question que tu me parles comme ça, compris?


Trois réponses que je n’ai pas envie de donner. Que dire alors? Comment meubler les silences entre les flèches sifflantes passant à côté de mes oreilles?


Je le regarde, et je me dis qu’il veut que je l’arrête. Qu’il a besoin que je stoppe cette chute, cette spirale. Il me le demande en allant toujours plus loin, en disant les choses les plus méchantes auxquelles il peut penser. Et c’est à moi de l’empêcher d’avancer sur ces charbons ardents, au lieu de me dire qu’il doit expérimenter les brûlures et qu’il comprendra tout seul.


Quand je n’avais que Grand, je ne jurais que par l’éducation positive. Sauf que depuis, j’ai eu deux autres enfants et que mes deux autres garçons, qui ont eu beaucoup moins de soutien émotionnel, ne me semblent pas moins bien dans leur peau, ils me semblent même mieux. L’éducation positive m’aura empêché trop souvent d’avoir du bon sens: non, on ne donne pas d'importance à ces émotions-là, en tous cas pas maintenant, pas dans le feu de l’action, car en croyant éteindre les flammes, on ne fait que jeter de l’huile sur son propre bûcher. Non, on n’accepte pas ces mots-là. Si les coups, les violences physiques, sont toujours nettement stoppées, je reconnais avoir eu, et avoir encore, plus de mal à stopper les mots blessants. J’ai plutôt une propension à les accepter. Je pense avoir progressé sur ce point: je regarde mon fils et lui dis, écoute, je ne vais pas accepter ces mots-là. C’est l’heure de la douche et après on dînera. On t’attend en bas. 


Dans mon dos, j’entends des serments solennels “je n’irai jamais me doucher”, “je ne le ferai pas”, “je n’aime pas Maman”, “je ne mangerai plus jamais”. En bas, je commence à préparer le dîner. Quelques minutes plus tard, j’entends la douche. 


Juste “non”, parfois, permet de faire fuir les problèmes qui coulent vers le siphon dans la parfaite spirale de l’oubli.

 

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