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Où sont les enfants?
 

Batailles choisies #294

Dites que vous n’avez pas d’enfants sans dire que vous n’avez pas d’enfants challenge: “oh, dans le TGV, y a un bébé qui pleure, c’est pénible, quand même faut les éduquer, vos gosses!“ Retour sur l’individualisme tout puissant, féministe woke ou pas. 🚄


 

Avec les vacances d’été, Twitter entre dans ses querelles habituelles entre non-parents qui trouvent que les enfants des autres font trop de bruit dans le train/avion/bus, et parents qui font de leur mieux et galèrent quand même, qui galèrent dix fois plus parce qu’ils font de leur mieux pour que leurs enfants ne dérangent pas ceux qui sont dérangés par les enfants des autres. 

Je ne sais pas si j’ai vraiment envie d’en remettre une couche sur le fait qu’exiger dans l’espace public des enfants silencieux et immobiles, c’est exiger quelque chose d’impossible au parent qui est avec l’enfant (euphémisme poli pour dire: la mère). C’est la mettre dans une situation d’échec, rendre la vie impossible à la mère et à l’enfant, au nom d’une tranquillité qui est un bien joli nom pour l’individualisme. 

Lorsque mon aîné avait deux mois, sur le vol Paris-Santiago qui nous emmenait au Chili, je garde le souvenir très net de ma voisine qui a passé les quatorze heures de vol à nous regarder du coin de l'œil, moi et mon bébé. Sans une parole, juste en me jetant des œillades réprobatrices à chaque fois que mon fils faisait du bruit (bruits d’oisillon, débuts de pleurs que je m’efforçais de calmer au plus vite) sans aucune bienveillance. Résultat: par peur de déranger la voisine, je n’ai pas dormi des quatorze heures du vol de nuit, alors que mon fils, bercé par l’avion, a dormi quasiment non-stop.

Des exemples comme ça, de regards, de grimaces, de soupirs, de remarques directes aussi, évidemment toutes les mères en ont des dizaines. Tout ça vise à dire une seule chose aux parents: tes enfants ne devraient pas être là.

Et souvent ils ne sont pas là: les parents s’autocensurent, s’interdisent, sauf nécessité, d’aller à tel ou tel endroit parce que ça va être trop galère. Ça va être trop galère avec l’enfant, mais aussi avec l’enfant dans ce monde d’adultes aux regards méchants.

Les mères savent que leurs enfants ne devraient pas exister dans le monde des grands, le moins possible, qu’ils ne devraient pas être là.

Mais d’ailleurs: où sont-ils?

Ni au restaurant (on peut pas manger tranquille), ni en terrasse (ils n’arrêtent pas de bouger), ni dans le train (ils courent dans l’allée), ni au cinéma (sauf films pour enfants rien que pour enfants).

Où sont les enfants? 

Quand ils sortent, ils sont parqués dans des parcs qui ont toujours les trois mêmes jeux, toboggan, balançoire, tourniquet. 

Sinon, ils sont à l’intérieur. Là où ils ne dérangent personne - là où ils ne dérangent que leur mère. Là où on ne les voit pas, où on peut faire comme s'ils n’existaient pas, comme s’ils n’avaient rien à nous apprendre. 

Or, en tant que mère, je trouve qu’avoir des enfants est une expérience radicale du décentrement. Depuis que je suis maman (parce qu’avant ça, je faisais partie des individualistes forcenées, des féministes anti-mères c'est-à-dire des féministes qui n’en sont pas vraiment), je suis constamment en train de me décentrer. Je suis donc capable de voir que ce gamin de 18 mois a besoin d’exercice physique, et qu’il est bien obligé de courir dans le couloir du TGV. Je vois surtout à quel point élever un enfant oblige à porter un regard critique sur la société, qui a une échelle de valeur rocambolesque.   



Au Chili, où je vis, il y a quelque chose que j’apprécie beaucoup: l’acceptation bienveillante des enfants, dans tous les espaces. Il paraît qu’ici, les enfants sont des enfants-rois - c’est ce que disent souvent les Français. Mais c’est aussi un pays où, de la Présidente de la République à l’éboueur, du coiffeur à la banquière, tout le monde comprend et dit que, les enfants, ben c’est des enfants, quoi. Les gens sont capables de voir le monde avec le regard de l‘enfant qui s’ennuie, a faim, est fatigué, tout ça à la fois, et donc gigote, dérange. 



Regarder le monde avec les yeux des enfants qu’on parque, qu’on enferme, qu’on limite sans arrêt est un vrai apprentissage pour nous, adultes. Une façon de voir révolutionnaire.

Sans doute, oui, cette gamine vous empêche de fermer l'œil dans le train. Mais si vous prenez la peine de voir le monde avec son regard, voir ce monde ridicule qu’on a fabriqué et dans lequel on lui demande de grandir comme si c’était une bonne chose, vous ouvrirez les yeux.


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