Main dans la main 
 

Batailles choisies #414

Un matin comme les autres avant de partir à l’école: enfants rétifs, sacs récalcitrants, cheveux revêches, patience qui se rebiffe. Pourtant, je souris intérieurement… mais pourquoi donc, mon chéri? 🤝


 

Il y a eu de grands changements dans l’organisation familiale. Enfin, un seul changement à vrai dire, mais grand, très grand: la douche de mon mari. Mon cher et tendre prend désormais sa douche le soir. Avant ce changement, il se douchait le matin, ce qui avait pour implication pratique que j’étais le plus souvent seule avec les trois garçons, et donc la préposée à la préparation et rangement du petit-déjeuner (avec rangement du lave-vaisselle le plus souvent puisque sans vidage, remplissage impossible dudit lave-vaisselle du sus-mentionné petit-déjeuner), ainsi que la préposée, souvent la veille, parfois malheureusement le matin, à la préparation des sacs, goûters, collations, boîtes-déjeuner, ainsi que la préposée à l’habillage, au coiffage, au lavage de dents des garçons. J’étais donc, ainsi préposée, toute disposée au pétage de câble. 

Depuis que nous sommes deux à nous partager ces tâches, les matinées sont plus fluides, mes câbles moins tendus, mon humeur bien meilleure.


De là à dire que je me réjouis en mon for intérieur, que je rifougne, alors que je suis dans la cuisine à préparer les déjeuners, d’entendre en haut mon mari galérer au lavage de dents de l’un et habillage de l’autre qui saute sur le lit, de là à dire que je me régale d’avoir eu raison, que je hausse les épaules en pensant bien fort et en disant tout bas, combien de fois je t’ai dit qu’il faut toujours avoir préparé les vêtements la veille, de là à dire, enfin, que dans un couple, la vengeance est un plat qui se mange froid… ce serait trop dire - quoique peut-être ne devrais-je pas bouder ce petit plaisir de la conjugalité.


Ce que je retiens de cette révolution silencieuse de notre organisation familiale, c’est le retour d’un travail d’équipe. Les années de pandémie, nous avions fini par endosser, pour des centaines de raisons, des rôles prêts-à-porter, tout faits et mal coupés, ne convenant pas mais qu’est-ce qu’on va mettre d’autre: lui, celui du père qui travaille trop et est toujours en réunion; moi, celle de la femme au foyer dont la vie se résume à passer d’un gosse à l’autre, d’un sac à l’autre, du déjeuner au dîner et d’une lessive à la suivante, deux vies qui se sont si souvent menées en parallèle, m’emplissant de tristesse, de résignation ou de colère. 

Mon retour au travail, le retour de nos enfants à l’école et donc cette douche du soir, rééquilibrent grandement nos existences. Et je suis bien heureuse, alors que je cours après Dernier pour lui changer la couche, alors que mon mari dit pour la troisième fois et avec le ton qui monte d’arrêter de sauter sur les lits, alors qu’il ramène Milieu qui n’a pas fini de se laver les dents et que je cours après Grand et Dernier, une brosse à cheveux à la main, tentant de repasser les épis et de repasser dans ma tête les checkbox des goûters de l’un ou de l’autre, je suis donc bien heureuse que l’on se retrouve enfin, de nouveau, main dans la main, à sauter dans la bolge parentale.


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Petite vie 
 

Batailles choisies #413

On est dans sa petite vie et soudain, un quasi, un presque, un failli: c’est la mort qui frôle son enfant, l’accident tragique qu’il évite de justesse. Alors on se trouve tous bien petits dans notre petite vie.  ⏸


 

Mon mari et moi sommes dans le jardin, les aînés jouent en haut, notre petit dernier rampe sur la bâche de sécurité de la piscine, couverture ultra résistante, attaches fermes de trente fixations. Il barbote avec joie dans les quelques centimètres d’eau sur la bâche, s’amuse du bruit, du liquide qui lui caresse les jambes. Mon mari amène je ne sais plus quoi à la cuisine, je lui dis quelque chose, il revient, j’y vais à mon tour, m’en retourne, ballet de petits riens au milieu duquel s’engage une conversation, au milieu de laquelle Dernier se met à pleurer soudainement. On lève les yeux. Pas de Dernier. Qu’est-ce qui lui est arrivé, encore? Mon mari s’approche du fond du jardin - il aurait trébuché dans une plante, là où il y a une faible pente?


Il y a sur la bâche de sécurité une petite fenêtre de 50 centimètres carrés environ, d’une fibre moins épaisse que le reste de la couverture. Sans doute brûlée par le soleil de la région centrale du Chili, certainement abîmée par les jeux de mes aînés qui, plus d’une fois, y ont fait des concours de glissade, la bâche maintenue fermement close par toutes ses fixations, a une faiblesse: la petite fenêtre, qui vient de craquer d’un seul coup, ouvrant sous elle le pire danger.

Dernier, précipité par l’ouverture, s’est accroché, dans un réflexe de survie, à la couverture avec ses petites mains, les bras tendus, les doigts agrippés, les pieds touchant presque l’eau. Il s’est mis à pleurer soudainement, interrompant notre petite conversation, notre petite vie, parce qu’il a senti une peur panique, de se retrouver pendant au-dessus d’une noyade certaine, fatale au pire, tragique au mieux. 

Mon mari qui s’est dépêché d’aller voir où était tombé son petit, soulève, en même temps que son cœur effondré, son fils terrifié. Bouche bée face à cette fenêtre béante, je prends mon bébé dans mes bras. Tour à tour, on câline notre petit aux pieds mouillés.     


Jamais nous n’avions même regardé cette petite partie de la bâche comme un danger. Jamais cette faille ne nous avait même traversé l’esprit.

 

Et si?

La plus petite variation de cette situation et ce sont les conséquences les plus graves, les plus grands tourments.

Et si, comme souvent, mon mari qui aujourd’hui a fini plus tôt, était encore en réunion?

Et si, comme souvent, j’étais occupée à la cuisine et jetais un œil distant au jardin? 

Et si, comme souvent, l’un de mes grands m’avait appelée, et que j’avais dû monter ou m’éloigner quelques minutes avec la certitude qu’il n’y avait pas de danger dans le jardin, puisque nous avions pris toutes les précautions?

Et si la fenêtre avait craqué demain?

Et si, fatiguée par les pleurs des enfants, je les avais ignorés et balayés d’un “ça va lui passer”? 

Et si Dernier n’avait pas pleuré? Combien de secondes faut-il pour que des parents s’étonnent, puis se demandent, puis s’inquiètent, pour enfin s'imaginer le pire? Combien de secondes? 

Une seconde d’inattention, entend-on toujours dire.  

Une seconde d’inattention suffit pour briser des vies.

Une seconde d’inattention et on m’envoie un avertissement.

Une seconde et, pour d'autres parents, le cours des choses est brisé: l’accident, la chute, la noyade, la route, la prise électrique.


J’ai beaucoup câliné mon fils aujourd’hui. Je l’ai beaucoup regardé et je l’ai trouvé particulièrement beau, doux, lumineux. Je l’ai caressé de mon regard d’amour où s’est logé soudainement une tristesse, une écrasante responsabilité, une vérité pesante: il ne faut pas grand chose pour en finir avec une petite vie.


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