Colin-maillard

 

Batailles choisies #585

Mais qui voilà à la maison! La belle-mère! Et avec elle, la belle-mère intérieure, celle qui juge nos enfants et les trouve vraiment malpolis. 🫣


 

La maison est tendue.

Ça crie, ça se dispute, ça souffle d’exaspération. 

Mari dit: les enfants sont pénibles ce soir.

Ben, pas plus que d’habitude.

Mari insiste: ils n’arrêtent pas de se chamailler.

Ben, non, enfin si, mais normal, quoi.


Pourquoi cette tension dans l’air? Une journée compliquée? Une réunion importante? Un souci? Je ne sais pas si c’est Mari qui est fatigué aujourd’hui ou bien si c’est sa façon de me dire que je supporte trop mes insupportables gamins. En plus, c’est bête, on devait passer une soirée plus tranquille, puisque la mère de Mari est avec nous pour la soirée! Trois adultes pour trois enfants, un luxe: chacun allait calmement occuper un gosse, tout le monde se tiendrait par la main et se ferait des bisous, toute l’heureuse petite famille trottinant vers un dîner de partage et un coucher paisible.


Ah… mais c’est sans doute pour ça. Dans notre huis-clos familial habituel, les garçons nous énervent mais enfin, on a appris, sauf exaspération ou grosse fatigue, à fermer les yeux sur le bordel, les chamailleries, les mesquineries. Ce soir pourtant, notre huis-clos est rompu: la mère de Mari est là, avec ses yeux d’extérieur, avec sa façon de faire. Elle ne se permet pas de commentaires, ne dit rien qui fâche, mais avec sa simple présence, elle est un révélateur de tout ce qui ne va pas dans notre famille, ou plutôt de tout ce qu’on aimerait faire mieux, de notre work in progress - pour ne pas dire de nos échecs. Notre famille n’est pas présentable plus de cinq minutes, nos enfants ne sont pas polis plus de cinq minutes, notre maison ne roule pas plus de cinq minutes - et belle-maman est là pour la soirée entière.


En fait, avec cette invitée, ou cette intruse, Mari regarde sa famille avec d’autres yeux - et pas des moindres. Il doit nous trouver pas à la hauteur, il doit se dire, plus ou moins consciemment, qu’on n’est pas, ni ses enfants ni moi, ce qu’il aimerait qu’on soit: je suis trop souple, je ne sais pas cuisiner, ses gosses parlent trop fort et n’écoutent personne, ils se tiennent mal à table et ne rangent rien. Mari, en bref, a activé sa belle-mère intérieure. C’est un regard d’autant plus jugeant que, cet après-midi, avant de venir nous voir, Abuelita est passée chez son autre fils, qui, lui, a une fille toute calme, qui, elle, joue avec ses peluches et qui, elle, ne crie jamais. La famille de mon beau-frère, en donnant l’impression de garder le contrôle sur tout, révèle d’autant plus clairement que nous sommes souvent complètement dépassés, que nous avons perdu, ou abandonné face au bordel, aux chamailleries, aux mesquineries. Un dernier phénomène empire la frustration générale: c’est parce qu’on aimerait montrer la meilleure image de ses enfants que ces sales gosses, qui se moquent joyeusement de cette image qu’on aimerait donner, qu’on s’impatiente d’autant plus. Nos tensions, nos sentiments contraires, l’impression réelle ou supposée qu’on nous juge, se transmettent aux enfants. 


A-t-on le droit de jouer à colin-maillard et de bander ses regards sévères? A-t-on le droit de mettre des œillères pour aveugler sa belle-mère intérieure? Ils sont pas si terribles, si?

Pour la survie de tous et de tous nos égos, je crois qu’il le faut.


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