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Belle-Maman
 

Batailles choisies #650

Je m’entends bien avec ma belle-mère. Comme quoi, patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. 🤝


 

Il est des caps qu’on franchit, comme ça, à force de petits miracles, de grandes avancées, de haches de guerre enterrées.


C’est un week-end sympa et familier, à la campagne, chez ma belle-mère. Je suis assise à la petite table de la cuisine et pendant que ma belle-mère s’affaire entre la vaisselle, la préparation d’un repas, goûter, entrée, dessert, gâteau d’anniversaire en retard, en-cas ou qui sait quoi encore - car dans cette maison, le perpétuel banquet engloutit le temps comme le tonneau des Danaïdes laisse s’écouler l’eau, je lui raconte les dernières drôleries de mes petits, nous partageons des récits de vie de mère. On passe par les insolences adorables de Milieu, par les coquineries de mon terrible Dernier, aussi terrible que l’était mon beau-frère quand il était enfant, par la passion pour la géographie de Grand, la même que son père. Ton Mari, là, il nous a bassiné tous les matins de ses rêves de gosse jusqu’à dix ans, et puis après ça, il nous a bassiné tous les matins sur la deuxième guerre mondiale.


On passe un bon moment. On est en bonne compagnie.

Comme quoi, tout arrive. 


Depuis presque deux décennies que je suis en couple avec mon compagnon, je suis passée par différentes phases dans mes relations avec ma belle-mère, toutes belliqueuses à leur manière, d’une guerre des tranchées à une guerre ouverte, d’une escarmouche à une guérilla. Durant des années, j’ai ruminé la moindre remarque, le moindre regard de travers. Durant des années, j’ai essayé de marquer mon territoire, de ne pas me laisser faire. Sauf que ma belle-mère a une personnalité très dominante, écrasante même, qui m’a trop souvent coûté des nuits de sommeil, des angoisses, de longues plongées dans des affres de rancœur. 

J’ai eu, dans cette cuisine où je suis en train de passer un très bon moment, joyeux, disons même complice, bien des souffrances, des remarques brûlantes et acides - ou que j’ai senties comme telles, des dizaines de conseils non-sollicités qui m’ont fait vaciller dans mes principes et laisser des blessures invisibles.

Mais, c’est fini, ça.

On est sorties de ça. 

Ça n’a servi à rien de fulminer intérieurement, d’avoir des discussions tendues, à couteaux tirés. Ni force, ni rage n’ont donné de résultats.


Ce virage, comment l’a-t-on pris? Comment a-t-on réussi à sortir d’une telle chicane?

Le temps.

Le temps est éloquent. Je suis une bonne mère, je m’en sors bien, je fais les choses de mon mieux. Ma belle-mère s’en est rendu compte, comme je me suis rendu compte qu’elle aussi a fait de son mieux, continue de faire de son mieux. 


Longueur de temps m’a appris qu’il ne sert à rien de prêter trop d’attention à ce qu’elle dit, ce qu’elle pense qu’il faut faire - en tous cas, pas quand on est vulnérable. 

Patience m’a appris que les sujets de tension, les remarques, les attentes et les espoirs déçus, venaient moins de deux caractères qui ont eu du mal à trouver un terrain d’entente, que du fait que je devais attendre quelque chose qu’elle n’était pas capable de donner. Comme j’aurais aimé que, quand mes enfants étaient petits, elle puisse s’occuper d’eux, les prendre, me décharger d’eux! Qu’elle puisse tout lâcher pour venir me sortir de l’enfer des maladies de crèche, des enfants qui toussent et du travail qui rend tout si compliqué, si intenable!

Mais, non, c’était impossible.

Il fallait attendre que ça passe.

Patience et longueur de temps. 


Mes enfants grandissent. Grand fait des dessins à côté, dans la salle à manger, Milieu joue à un jeu vidéo, Dernier construit des Legos dans la chambre. La pression sur moi se relâche. J’ai le temps de prendre mon temps, je peux aussi passer le relais sur l’un ou l’autre de mes enfants. 

Alors je reste tranquille à discuter dans la cuisine.

À rire.

À partager.

Alors que c’est bien le dernier endroit, où il y a dix ans, j’aurais espéré passer un bon moment.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Colin-maillard
 

Batailles choisies #585

Mais qui voilà à la maison! La belle-mère! Et avec elle, la belle-mère intérieure, celle qui juge nos enfants et les trouve vraiment malpolis. 🫣


 

La maison est tendue.

Ça crie, ça se dispute, ça souffle d’exaspération. 

Mari dit: les enfants sont pénibles ce soir.

Ben, pas plus que d’habitude.

Mari insiste: ils n’arrêtent pas de se chamailler.

Ben, non, enfin si, mais normal, quoi.


Pourquoi cette tension dans l’air? Une journée compliquée? Une réunion importante? Un souci? Je ne sais pas si c’est Mari qui est fatigué aujourd’hui ou bien si c’est sa façon de me dire que je supporte trop mes insupportables gamins. En plus, c’est bête, on devait passer une soirée plus tranquille, puisque la mère de Mari est avec nous pour la soirée! Trois adultes pour trois enfants, un luxe: chacun allait calmement occuper un gosse, tout le monde se tiendrait par la main et se ferait des bisous, toute l’heureuse petite famille trottinant vers un dîner de partage et un coucher paisible.


Ah… mais c’est sans doute pour ça. Dans notre huis-clos familial habituel, les garçons nous énervent mais enfin, on a appris, sauf exaspération ou grosse fatigue, à fermer les yeux sur le bordel, les chamailleries, les mesquineries. Ce soir pourtant, notre huis-clos est rompu: la mère de Mari est là, avec ses yeux d’extérieur, avec sa façon de faire. Elle ne se permet pas de commentaires, ne dit rien qui fâche, mais avec sa simple présence, elle est un révélateur de tout ce qui ne va pas dans notre famille, ou plutôt de tout ce qu’on aimerait faire mieux, de notre work in progress - pour ne pas dire de nos échecs. Notre famille n’est pas présentable plus de cinq minutes, nos enfants ne sont pas polis plus de cinq minutes, notre maison ne roule pas plus de cinq minutes - et belle-maman est là pour la soirée entière.


En fait, avec cette invitée, ou cette intruse, Mari regarde sa famille avec d’autres yeux - et pas des moindres. Il doit nous trouver pas à la hauteur, il doit se dire, plus ou moins consciemment, qu’on n’est pas, ni ses enfants ni moi, ce qu’il aimerait qu’on soit: je suis trop souple, je ne sais pas cuisiner, ses gosses parlent trop fort et n’écoutent personne, ils se tiennent mal à table et ne rangent rien. Mari, en bref, a activé sa belle-mère intérieure. C’est un regard d’autant plus jugeant que, cet après-midi, avant de venir nous voir, Abuelita est passée chez son autre fils, qui, lui, a une fille toute calme, qui, elle, joue avec ses peluches et qui, elle, ne crie jamais. La famille de mon beau-frère, en donnant l’impression de garder le contrôle sur tout, révèle d’autant plus clairement que nous sommes souvent complètement dépassés, que nous avons perdu, ou abandonné face au bordel, aux chamailleries, aux mesquineries. Un dernier phénomène empire la frustration générale: c’est parce qu’on aimerait montrer la meilleure image de ses enfants que ces sales gosses, qui se moquent joyeusement de cette image qu’on aimerait donner, qu’on s’impatiente d’autant plus. Nos tensions, nos sentiments contraires, l’impression réelle ou supposée qu’on nous juge, se transmettent aux enfants. 


A-t-on le droit de jouer à colin-maillard et de bander ses regards sévères? A-t-on le droit de mettre des œillères pour aveugler sa belle-mère intérieure? Ils sont pas si terribles, si?

Pour la survie de tous et de tous nos égos, je crois qu’il le faut.


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