Le cadenas
 

Batailles choisies #440

Il y a des scènes de vie de famille d’autres mamans que je trouve tellement drôles qu’elles me trottent éternellement dans un coin de la tête. Ici, c’est une histoire de cadenas et de Cerbère. Je vous explique. 🔐


 

Une de mes collègues a cinq enfants. Elle a eu une fille, puis des triplés puis un cinquième enfant, bébé-surprise. Oui, oui, vous avez bien lu: elle a eu, à un moment de sa vie, 5 enfants de moins de 5 ans: une fille de 5 ans, 3 enfants de 2 ans et un nourrisson. Si un monument en son honneur n’existe pas, je lui en érige un bien volontiers. Ses enfants, adultes désormais, lui ont rendu la vie misérable quand ils étaient adolescents: à 17, 15, 15, 15 et 13 ans, ils étaient des ogres qui lui avalaient tout ce qui leur tombait sous la main. Ma collègue avait un budget nourriture mensuel d’un million de pesos et mettait un cadenas le soir aux portes de son frigo. Un cadenas. Elle s’était en effet rendu compte que ses enfants se levaient la nuit et dévoraient le contenu du frigo familial: restes de pâtes, yaourts, fruits et même viande crue, tout y passait, dans l’indistinction d’une faim de loup de croissance. Le matin, il ne lui restait donc plus de quoi faire les repas complets pour la famille. D’où le cadenas.  


Ce cadenas me fait tellement rire! J’imagine ma collègue, le soir, avant de monter se coucher, vérifier que toutes les lumières sont bien éteintes au salon, que toutes ses affaires pour le collège sont prêtes dans l’entrée, que le sol de la cuisine a été balayé et surtout, surtout, surtout, qu’elle a bien mis le cadenas à la porte du frigo. Je l’imagine mettre la clé sous son oreiller ou dans une boîte dans sa table de nuit. Je l’imagine s’éveillant la nuit avec le doute: est-ce qu’elle a bien mis le cadenas? Je l’imagine se relevant et soupirant, soulagée, non c’est bon, elle l’avait bien mis. Il y a dans cette femme, au moment où elle ferme son cadenas, un tel mille-feuilles merveilleux de ce qu’est être mère, mille-feuilles de tâches domestiques, d’obligations, de faire de son mieux, de gestion de conflits, de décisions qui nous semblent suprêmement ridicules et parfaitement justifiées, un condensé parfait de la vie de mère. 


De là à me projeter moi-même, quand j’aurai trois grands dadais de 17, 15 et 13 ans, de là à me dire que j’en arriverai peut-être, après maintes disputes n’ayant donné aucun résultat, à monter la garde en Cerbère du frigidaire, puis à acheter un cadenas parce que y’en a marre, quand même, combien de fois je leur ai dit qu’après leurs descentes du frigo, on n’avait plus rien à manger pour le dîner, et puis tant pis, ils me laissent pas le choix: je prends le cadenas haute sécurité ou le cadenas à empreinte digitale, de là à me dire que la parentalité réserve vraiment des surprises et qu’on peut être mille fois mère dans une seule image, de là à me demander à quoi ressemblera mon mille-feuilles, le pas est vite franchi. 

Et, les garçons, je vous interdis de toucher au mille-feuilles du frigo, ok?


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Fin de vacances
 

Batailles choisies #439

Les vacances scolaires touchent à leur fin. C’est le retour en force de mon châtiment du soir: la préparation des goûters. 🍱


 

Grand et Milieu déjeunent à l’école. Leur repas doit consister en une entrée, un plat, un dessert. Durant leurs matinées, ils doivent chacun amener deux goûters, dont un fruit. Pour l’après-midi, à la garderie, ils doivent avoir un goûter chacun minimum. Pour la crèche, Dernier doit avoir lui aussi entrée, plat, dessert ainsi que deux goûters le matin et deux l’après-midi. 3 entrées, 3 plats, 3 desserts par jour, 6 goûters pour le matin, 4 pour l’après-midi, le tout sain, transportable et comestible, le tout tous les jours. Lorsque vient le soir, lorsque je suis sortie vivante et pas trop cabossée du tunnel dîner-bain-dodo, lorsque les enfants sont couchés, lorsque je n’ai qu’une envie, de me poser, je passe le seuil de ma cuisine et me rappelle qu’il faut que je m’attèle pour demain à mes 19 emmerdes.

Bon, alors, les entrées, ok, ce sera bâtonnets de concombre, il m’en reste. Ah, non, Milieu va préférer les carottes, allez, j’en épluche une. Le plat, bon, des pâtes pour tout le monde, je dois avoir un pot de bolognaise congelée quelque part. J’espère que personne ne vérifie combien de fois par semaine ils mangent des pâtes. 

Bon, alors, les desserts et les goûters du matin, c’est là que le bât blesse. L’école suggère compote pour la première collation. Je n’en ai qu’une, ce sera pour Milieu, Grand n’aime pas et Dernier, ben… il n’a pas l’âge d’exprimer ses goûts, je lui trouverai autre chose. Pour Grand, des fruits secs? C’est le seul qui aime bien. Dernier… une banane, ouf, il m’en reste deux. La deuxième collation doit être un fruit mais désolée, ça va être des céréales pour tout le monde, en essayant de ne pas envoyer les chocapic pleines d’opprobre et en mettant pour l’esbrouffe ces granolas qui me coûtent beaucoup plus cher et qu’ils ne mangent pas. Les goûters du matin, c’est fait, manquent les desserts. Si possible des desserts qui ne coulent pas dans les sacs à déjeuner. Yaourt? Pour Grand et Milieu, les bentos vont tenir, pour Dernier, non, ça ne va pas. Ah, oui, dans le fond du frigo, il me reste trois, non, quatre grains de raisin, génial! 

Bon, alors, les goûters de l’après-midi. Facile. Yaourt en pot et biscuit pour Dernier et biscuits pour les grands. Voyons, il me reste deux biscuits maison de la semaine dernière et un paquet d’industriels, allez, moite-moite, un plein de beurre et un plein de sucre pour chacun. 

Bon, alors, je range ça où, maintenant? Les bentos pour les grands, un excellent achat, entrée, plat, dessert, clip on referme et c’est fait. Les trois bouteilles d’eau: check. Pour Dernier, la banane et un petit pot plastique avec les céréales, ça entre dans le sac à repas. Pour le yaourt, je vais le mettre sur le dessus du sac avec une cuillère attachée par un élastique et le biscuit, il faut que je trouve un moyen efficace et si possible écologique de lui éviter l’émiettement - papier d’alu, efficace mais pas écologique. Tant pis, parce que je dois mettre les collations dans leurs petits sacs en tissu dans les cartables sauf que deux tuppers en plastique ça ne rentre pas, bon, ben, je change, céréales et biscuits le matin, fruits ou compote l’après-midi dans le sac à déjeuner? Non, attends, je me suis perdue. Ils ont des fruits, là, oui ou non, tous? Non. Alors, des myrtilles congelées, ça va aller et je peux les mettre dans un plus petit tupper. Trois myrtilles, deux granolas, une compote, deux concombres, une carotte, trois pâtes, trois biscuits. Je crois. 


Voilà, mon exercice quotidien de géométrie et de stratégies alimentaires, qui dure quand même trente minutes, est terminé. Les sacs, les bentos, les sachets, les emballages sont prêts. J’aimerais sourire mais je me dis que j’en ai pour encore au moins 10 ans à faire ça tous les jours. 10 ans! À raison de 19 préparations quotidiennes, donc 95 par semaine, donc 380 par mois, donc 3420 par année scolaire, donc 34200 préparations pour les 10 prochaines années… Ah, tiens, j’ai oublié une dernière chose à emballer! Mon moral… hmm… où le mettre? Ça doit être sain, efficace et écologique… 

Ah! J’ai trouvé une place pour mon moral: dans mes chaussettes.


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