Les pas polis
 

Batailles choisies #488

Avec les enfants, c’est trois pas en avant, deux en arrière: on progresse, on régresse. Pourquoi donc? Pour garder à l’esprit que rien n’est ni facile, ni acquis, ni fini, avec la vie de famille. 🫣


 

Ça va être tranquille, ce soir. Ça va être une soirée facile. Ça va passer vite. Ça va le faire, oui.

Je suis optimiste parce que, dernièrement, les petits pas qui ont été faits dans notre vie de famille ont été un grand pas pour ma tranquillité: au retour de l’école, les garçons jouent ensemble dans le jardin ou bien jouent chacun dans leur coin, paisiblement. Grand est moins soupe au lait, Milieu est un meilleur mangeur, Dernier dort mieux à la crèche et je dois un peu moins me dépêcher pour rentrer à la maison et le coucher dare dare.

Ça devrait donc être tranquille, ce soir, d’autant qu’il fait beau, malgré un air frisquet.

Avec le printemps qui approche, avec mon aîné qui va vers ses sept ans, avec mon fils du milieu qui est plus facile, avec Dernier qui grandit, je me suis dit que je pouvais désormais respirer. Allez les garçons, avant le dîner, avant la fin du travail de papa, on fait du vélo dans la rue! Je me suis aussi dit que vraiment c’est plus facile… et puis je me suis ravisée, rapidement: je trouve en fin de compte que mes enfants sont mal élevés et pas polis.

Dans la rue, ils enchaînent les bêtises, font n’importe quoi, ignorent superbement mes remontrances, me montrent leurs fesses, me tirent la langue. Ils sont horribles: Grand fait rebondir une balle de tennis si possible très près des ou sur les voitures des voisins, Milieu s’amuse à lancer des cailloux en l’air pour qu’ils retombent sur sa tête ou sur les voitures des voisins, Dernier a trouvé un gros bâton et court maladroitement avec en frappant joyeusement le bitume ou les voitures des voisins. Rien à faire. Ils ne m’écoutent pas, je dois me battre pour récupérer les bâtons, cailloux et balles incriminées. Sitôt un problème de voisinage évité, le suivant arrive en hurlant de rire et en me regardant avec un air de défi. J’avais commencé la soirée avec le sourire et un air de sérénité apporté par le printemps et l’espoir d’en finir un jour avec la galère des soirées pourries. Mon visage a désormais pris l’air bien connu de colère maternelle qui ne peut pas se déverser en public.   

Je ne me dis plus que la soirée devrait être tranquille. Je me dis que mes enfants ne sont pas polis. Je me dis aussi que la vie de famille, les enfants ne vous donneront jamais l’impression que le plus dur est fait, ils ne vous laisseront jamais vous reposer sur vos lauriers. D’ailleurs, avec les enfants, les couronnes de laurier ressemblent bien peu à celles de César et bien plus à une couronne faite avec des feuilles sèches qu’on a retrouvées au fond de son placard à côté du curcuma, et qui sont collés entre elles avec de la patafix. Je me dis alors qu’il faut que j’arrête de réfléchir et que j’arrête, très vite, la bataille de petites boules que les garçons ont arraché à la plante devant la maison d’à-côté.   


Ma vie s'améliore, certes, mais à tout petits pas pas polis sur les plate-bandes du voisin.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Le Titanic
 

Batailles choisies #487

Laisser entrer le Titanic dans sa vie de famille, en frissonner avec ses enfants… 🚢


 

Mes enfants et moi sommes fascinés par le Titanic. Comment nous sommes entrés dans cette spirale, je ne sais pas vraiment, mais toujours est-il qu’après avoir raconté à grands traits le désastre, après avoir emprunté un livre à la bibliothèque, après avoir regardé des extraits du film préféré de mon adolescence, après avoir regardé des reconstitutions 3D du naufrage ou des analyses des positions des débris sur le fond marin, nous voici arrivés à bon port: tous les soirs, Grand et Milieu me demandent si on va pouvoir regarder, quand Papa sera en train d’endormir Dernier, des vidéos du Titanic, hein Maman, s’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît?

J'oscille entre la culpabilité de faire exister dans l’esprit de mes bambins des faits si tragiques, et sans doute pas adaptés à leur âge et le sentiment qu’il n’y a rien de mal à assouvir la curiosité de mes enfants, qu’il faut bien enrichir le monde en grandissant, fût-ce avec des idées loin du pays joyeux des enfants heureux. La curiosité, le plaisir de comprendre, l’envie irrépressible de poser des questions, sont de puissants guides et de réels cadeaux. Et puis, bon, si je suis honnête, si je dis les choses comme je les vis, hein, j’adore l’histoire du Titanic. Quand on est parents, on a bien le droit de faire monter ses enfants sur ses propres dadas, non?   

Il faut dire aussi, pour ma défense, que tout est fascinant dans le Titanic. Tout est grand, de son tonnage à son naufrage, de sa perte à sa découverte! Un des plus grands paquebots jamais construits, de plus de trente mètres de hauteur du premier pont jusqu’à la quille… Un luxe formidable, dont la grande descente, escalier à double volée, en bois sculpté, en est une magistrale illustration… L'hubris humain à son comble, d’un navire prétendument insubmersible, qu’on a voulu toujours plus rapide, toujours plus gigantesque… Des histoires mythiques et d’une infinie tristesse, de sacrifices, de familles brisées à jamais… Des gestes héroïques de grandes âmes… Une des plus terribles catastrophes maritimes du siècle, qui a coûté la vie à plus de 1500 personnes et n’en a épargné que 700! Une profondeur colossale de presque 4000 mètres séparant l’épave de la surface…

Les garçons l’ont bien compris, qui m’assaillent de questions sur les survivants et les perdus en mer; sur la sensation de milliers de poignards s'enfonçant dans le corps et l’eau glacée qui la crée; sur le capitaine et les simples membres d’équipage; sur l’état de l’épave et les objets qui gisent sur le fond marin. Nous vivons ensemble une expérience cathartique, douce et sombre, profondément empathique et apprenante, à nous imaginer à bord, à imaginer ce qu’on aurait fait et ce qui nous serait arrivé.  


Alors ce soir encore, pendant que nous regardons la vidéo projetée sur toute la longueur du mur, au son de métaux gémissants et de désespérés appelant à l’aide, pendant que derrière une porte puis une autre, je perçois les gazouillis de Dernier, que son père endort difficilement, pendant que nous sommes au chaud dans le lit, collés tous les trois, pendant que nous regardons, fascinés, tout ce qu’il y a dans cette histoire de grand, de gigantesque, de formidable, de terrible, d’héroïque, de titanesque en bref, je remercie la vie de m’offrir, avec mes petits humains, ses plaisirs minuscules.


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