Mort à la Schtroumpfette
 

Batailles choisies #486

En tant que mère féministe, puis-je lire à mon fils, qui me l’a demandé la bouche en cœur, un livre plein de sexisme cras? À votre avis? 💙


 

Grand a ramené de la BCD une nouvelle BD, Les Schtroumpfs et la Schtroumpfette. Tout heureux, il profite que Milieu et Dernier jouent tranquillement dans le jardin pour me demander de lui lire sa trouvaille. Je ne suis pas fan des Schtroumpfs, mais enfin, c’est à Grand de forger ses propres goûts. Il avait déjà choisi à la bibliothèque les petits bonshommes bleus une ou deux fois; il a parfois regardé des dessins animés des Schtroumpfs. Alors bon, va pour cette lecture.

 

La couverture arbore un schtroumpf à l’air niais tendant un bouquet de fleurs à une schtroumpfette minaudant. Ça commence mal. Je prends mon courage à deux mains et j’accepte que Grand s’intéresse à l’amour, sur lequel il me pose régulièrement des questions, même dans cette version stéréotypée qui me fait grimacer. Allez, chasse ces pensées féministes et ne retiens que le moment de partage.  

 

Page 4, je plisse les lèvres en lisant que Gargamel a l’idée, pour détruire la belle entente qui règne dans le village des schtroumpfs, de leur envoyer une fille. Gloups.

Page 5, je ravale ma salive quand Gargamel sculpte la femme sus-citée avec de l’argile. Du meilleur goût, cette réincarnation de la pécheresse originelle. Gloups.

Page 6, je retiens des souffles d’exaspération à la lecture de la recette du sortilège qui permettra de transformer la statue en vraie schtroumpfette, en substance: une pointe de coquetterie, une louche de mauvaise foi, quelques gouttes de mensonges, des morceaux de comédie, des chiffons de la meilleure qualité, des plumes de têtes de linotte, des larmes de crocodile et j’en passe et des meilleures… Gloups.

Page 10, je me mords la langue lorsque la Schtroumpfette, à peine arrivée dans le village, à peine installée, se met à décorer la maisonnette pour lui donner plus d’élégance et de confort. Gloups.

Page 13, je m’étrangle que la Schtroumpfette, invitée à suivre les schtroumpfs sur le chantier d’un barrage passe son temps à empêcher les hommes de travailler en leur posant tout un tas de questions idiotes, en allant là où on lui a expressément interdit de se rendre, en accusant de fainéantise des schtroumpfs au repos alors qu’elle se préoccupe surtout de son bronzage. Gloups.  

Page 15, j’enrage quand la Schtroumpfette tanne tout le village pour organiser une fête, à laquelle elle se pointe avec deux heures de retard parce qu’elle a pris son temps pour s’apprêter. Gloups.

Page 18, je déglutis difficilement en lisant que Madame ne se rendra pas à une autre fête préparée à sa demande et en son honneur car elle a la migraine. Gloups.

Page 29, je supporte très difficilement et ne réussis pas à me retenir de lâcher à Grand “cette histoire est vraiment idiote” quand les messieurs en bleu, lassés de la demoiselle, décident de lui faire croire qu’elle a grossi, pour qu’elle n’ose plus sortir de chez elle et les laisse tranquilles. 

Page 34, je… non, vraiment, Grand, je ne peux pas. Je ne peux pas continuer à lire ça, à te mettre ça dans la tête. Je ne supporte pas cette histoire.

Grand est interloqué. Mais que se passe-t-il, Maman?

- Vraiment, Grand, je suis désolée, mais je ne supporte pas qu’on parle d’une fille qui arrive au milieu de garçons comme ça, qu’on ne la montre que préoccupée par son apparence, sans aucune personnalité, geignant, pleurnichant, faisant du chantage, capricieuse, n’ayant aucun égard pour les autres, ne posant que des questions idiotes. Vraiment, je ne peux pas.

Grand accepte mon ton définitif. Le livre refermé, la soirée reprend son cours, passant par les jeux dehors, le dîner et finissant sur le canapé, quand Grand, tout fier, montre à Milieu sa BD. Mes deux petits mecs se collent l’un à l’autre. Grand raconte ce qu’il a compris de l’histoire:

- Et là, regarde, elle pleure en faisant ouiiiiiinnn parce que personne ne s’occupe d’elle! 

Les deux garçons éclatent de rire, certainement amusés par les cris écrits en grosses lettres majuscules. 

Gloups.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Mauvaise idée
 

Batailles choisies #485

Une recherche Google, ou les cercles de l’enfer maternel. 🔍


 

J’ai eu la mauvaise idée de taper dans Google: “effets carence sommeil enfant”.

Il y a six mois, j’ai appris que l’humeur difficile de Milieu, ses pleurs, ses crises, venaient du fait qu’il ne dormait pas assez. Pendant environ un an, de ses deux ans et demi à ses trois ans et demi, il lui a manqué entre une et trois heures de sommeil quotidien. Une carence en sommeil prolongée, et la dette de sommeil qui en résulte, augmentent dans l’enfant la production des hormones de stress, le rendant irritable, difficile, pleurant beaucoup, le rendant, en bref, Milieu de cette époque, cet enfant adorable et infernal, le mien, qui m’aura mise à genoux, épuisée, comme personne d’autre. Depuis que j’ai appris que Milieu devait dormir entre onze et douze heures par jour, depuis que les habitudes ont été prises avec lui pour remettre de l’ordre dans ses horaires et dans ses hormones, depuis que le tir a été rectifié, effectivement, Milieu n’est plus le même enfant, il a laissé sa mue horrible et s’est transformé en gosse globalement choupi.

Sauf que le tir a été rectifié si tardivement, après des mois de stress, le sien, le nôtre, qu’il me restera toujours le poids écrasant de la culpabilité. Je ne peux pas m’empêcher de me demander s’il n’a pas subi de dégâts irréparables, de pertes irrémédiables de développement à cause de cette dette, qui le feront souffrir sa vie durant. Certains jours, je regarde mon fils, joyeux, malin, joueur, curieux, je le vois dessiner avec concentration et précision, ou inventer des histoires, ou construire des legos et je me dis que non, ouf, on a pu changer à temps. Mais certains jours, tous les doutes ou toutes les difficultés me ramènent à cette angoisse: et si sa carence prolongée en sommeil avait atteint son développement? 

Depuis le retour des vacances, trois grosses semaines donc, Milieu pleure, à chaudes larmes, à grands cris, le matin quand je le laisse à l’école. C’est une véritable régression par rapport au début d’année. Ajoutons à ça que je le trouve beaucoup plus porté sur les crises et les hurlements que son aîné au même âge, qu’il éprouve de grandes difficultés à verbaliser ses émotions, qu’il semble même parfois ne pas éprouver d’émotions, qu’il a un appétit d’oiseau, qu’il parle moins bien que son frère au même âge, alors certains jours, mon esprit plonge dans un lacis de doutes et de recherche de réassurances.

Aujourd’hui par exemple, je me sentais assez forte, assez en confiance que mon Milieu était choupi et éveillé, pour me lancer dans une recherche Google, dans l'espoir que les résultats me rassurent.

Mauvaise idée.

Les effets d’une carence prolongée, et donc d’une surdose d’hormones de stress, sont en particulier un retard de développement, un retard de langage et des difficultés émotionnelles sévères.

Je commence ma descente aux enfers, mon passage par la bolge des mères qui auraient dû savoir, puis celle des mères qui auraient dû agir, puis celle des mères qui se fâchent alors que c’est pire, puis celle des mères indignes, pour finir dans celle des mères coupables. 

Se mêlent dans mon court-bouillon d’angoisses un peu de tout ce que je sais, beaucoup de tout ce que je ne sais pas, et des observations prises pêle-mêle à ma vie avec Milieu qui veulent tout dire ou bien ne rien dire du tout. C’est un lent tourbillonnement vers le bas qui me happe auquel ma seule réponse est de me débattre, d’en vouloir à tout le monde, à la médecine pédiatrique qui ne donne pas d’indications suffisamment claires sur les besoins en sommeil des enfants et noient les difficultés parentales dans un “tous les enfants sont différents”; j’en veux à mon mari de n’avoir pas été plus présent pour moi et Milieu, à cette période cruciale, alors que j’avais parlé de son évidente fatigue à de nombreuses reprises; j’en veux à ma belle-mère d’avoir été si intransigeante, si peu empathique avec Milieu, quand on était confinés chez elles et qu’elle ne voyait en ses appels à l’aide que des caprices; et surtout, je m’en veux. De ne pas avoir pu l’aider, d’avoir échoué à le comprendre, à l’entendre et à le défendre.

Au bout d’un moment, alors que mon cœur pantèle, j’ai un sursaut salutaire et je me dis que, plutôt que Google, je demanderai à ma pédiatre lors de notre prochaine visite. Il faut bien suspendre mes angoisses, m’en remettre à un guide dont la gorge est moins nouée que moi.

Je ferme l’onglet du moteur de recherche satanique, chasse les mauvaises pensées et respire profondément.   

Je ne peux rien faire d’autre qu’avancer, doucement, sur mon pont fragile, m’accrocher à son air éveillé et ses progrès évidents, et espérer qu’au bout de ma traversée, marquée à jamais, mais ayant sauvé mon fils, j’arriverai au Purgatoire.


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