Équilibre
 

Batailles choisies #576

Laisser vivre ses enfants ou les pousser à être le meilleur d’eux-mêmes: équilibre difficile à trouver. 😶‍🌫️


 

Faut-il pousser ses enfants, leur exiger d’être toujours plus, les inciter à se dépasser? Ou faut-il les laisser vivre, les laisser être?

S’inquiéter pour eux et travailler à ce qu’ils s'améliorent? Ou leur faire confiance, absolument?


C’est une question que je me pose de plus en plus souvent à mesure que mes enfants grandissent, à mesure en particulier que Grand définit ses goûts et sa personnalité, qu’il emprunte certaines routes en en délaissant d’autres. Est-ce que je dois être exigeante avec lui, ou le laisser grandir sans intervenir? J’ai l’impression de vivre constamment avec cette question éminemment parentale sans savoir sur quel pied danser. Sur ce fil, je suis en équilibre précaire, penche parfois du côté du laisser faire, parfois du côté du demander plus, tombe plus souvent que je ne voudrais.


Parce que je vois mon aîné grandir et que je vois s’installer ses faiblesses et défauts, je ne peux m’empêcher de me demander dans quelles batailles m’engager. Batailler pour qu’il aie le goût du travail et de l’effort? Chercher à le pousser dans une voie qui me semble être enrichissante pour lui? Ou bien le laisser faire et supposer qu’il apprendra tout seul, sans moi? Que mon influence, même, ferait plus de mal que de bien? Oh, mais si mes enfants devenaient de gros fainéants, incapables d’arriver quelque part…

Et, en fin de compte, quel est mon travail de maman? Aimer? Soutenir? Pousser? Guider? Critiquer? Tout ça à la fois, mais à quel dosage…  


L’instituteur de Grand, auquel je dis mes doutes lors d’une réunion parent-profs, me répond cette phrase, qui reste avec moi:

- Il faut être en admiration béate devant son enfant, avoir toute confiance en ses capacités.


Je ne sais si cette phrase dite doctement est une manière de me rassurer ou est, au contraire, un avertissement, une façon de faire comprendre qu’il est facile d’emprunter une route pleine de nids de poule, que vouloir le pousser à se dépasser n’est pas forcément une bonne idée.

Je revois ma propre enfance et j’ai le sentiment que c’est le cadeau que ma mère nous a donné, à mes frère et soeur: être en admiration, laisser faire, faire confiance, ne pas brider sous prétexte qu’on essaie de guider. Et finalement, même si je pense être globalement de cette sorte-là, je me surprends à être plus dure, plus exigeante, à vouloir que mes enfants en fassent toujours plus, qu’ils se dépassent, aillent plus loin, réussissent. J’insuffle sans le vouloir vraiment des peurs à mes enfants, peurs qui viennent de ce que je trouve l’environnement dans lequel ils vivent si confortable. Mes élèves sont trop protégés, les petits voisins trop choyés. Les enfants, ici, ont déjà tout. Alors pourquoi apprendraient-ils le travail, la réussite par l’école, la capacité à travailler dur pour s’accomplir? Je ne vois autour de moi qu’une vie facile, une vie où le travail et la réussite ne sont pas obligatoires pour s’en sortir. Je n’aime pas cet aspect de la culture chilienne et j’apporte de ma culture le sens de la rigueur, de la discipline, qui me semble fondamental.


Mari me dit que c’est pour ça que je suis obsédée à l’idée que mes enfants apprennent un instrument de musique. Je suis d’autant plus obsédée par cette idée en ce moment que je sens que la fenêtre se referme pour Grand, que, j’ai peut-être déjà même raté le coche. Je ne sais pas comment lui donner la possibilité d’aimer la musique et d’en parler le langage… ou est-ce que ce qui m’importe, en réalité, c’est qu’il apprenne, avec un instrument, la discipline, le goût du travail et de l’effort qui viennent nécessairement avec et dont j’ai peur qu’il manque?

J’en reviens à mon fil. D’un côté, j’ai envie de le pousser dans cette direction, d’insister pour la musique, de le pousser à aller vers l’inconnu, se découvrir peut-être, se dépasser. De l’autre… je vois que mon aîné n’a pas l’air particulièrement intéressé par la musique. En revanche, il adore la peinture.

Je pourrais aussi regarder le monde avec ses yeux à lui, soutenir son chemin, même si ce n’est pas le chemin idéalisé, celui que j’aurais choisi, ou aimé qu’il choisisse?

Laisser-faire ses enfants ou les pousser est une question pour mes enfants, autant qu’une question pour moi: faut-il se laisser vivre en tant que mère, ou se pousser à donner toujours plus? N’est-ce pas moi qui ai l’impression de passer à côté de quelque chose pour la musique, plus que Grand?

Un autre fil sur lequel je tente de maintenir un équilibre…

Être parent, fil à double tranchant.


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Batailles rangées⭣

Un double maléfique
 

Batailles choisies #575

Mon petit dernier a un double maléfique, une créature fantasmagorique, mi-lion, mi-lanceur de poids, mi-grenouille. 🦁


 

Dernier s’est fait gronder ce soir. Il s’est fait gronder comme il faut, avec voix qui monte et qui descend, avec sourcils qui froncent, avec larmes qui dégoulinent sur les joues d’un pauvre bébé. En même temps, il fait tout ce qu’il ne faut pas faire! Monter sur le lit superposé alors qu’il n’est pas censé monter, toucher aux affaires de ses frères qui laissent là-haut leurs trésors qu’ils pensent en sécurité, s’amuser à se cacher sous les couvertures en défaisant tout le lit, et maintenant se mettre à lancer depuis les hauteurs tous les trésors de ses frangins!


Dernier ne sort qu’à reculons de la période touche-à-tout et bêtises à gogo, je n’en peux plus! Chiper le déodorant de Papa et en asperger toute la chambre pour qu’elle sente l’homme. Piquer un feutre et dessiner sous la table. Ouvrir le robinet de l’arrosage après avoir soigneusement refermé la porte-fenêtre derrière lui pour que personne ne le voie. Se servir un grand verre d’eau de sorte que l’eau déborde. Se cacher derrière des plantes pour jouer avec la perçeuse de Papa, faire des trous dans la terre. Découper des arbres avec les ciseaux de cuisine. Sauter dans des flaques d’eau. Aller au milieu de la flaque d’eau où je ne peux pas aller le chercher à la force sauf à me tremper moi aussi les pieds. Rire de mon impuissance. Sauter encore dans la flaque comme la plus heureuse des grenouilles.


Je n’en peux plus. Par pitié, l’âge des bêtises, l’âge terrible, quand nous laisseras-tu derrière toi? Souvent, je serre les dents, les poings, les fesses. Je ne peux pas faire grand chose d’autre qu’attendre que ça passe. 


Mais ce soir, non, non : lancer depuis le lit superposé de son frère des billes, des billes en verre, des billes bien lourdes, des billes qui font bien mal, là, ça va, ça suffit. C’est dangereux, ça risque de faire mal à quelqu’un, Dernier, ça suffit.

À la force, avec cris, gronderie et larmes, je le déloge de sa place forte. La soirée continue tant bien que mal après ça, jusqu’au moment du coucher, où, au calme, au chaud, au lit, je peux reparler tranquillement avec Dernier, essayer de l’éduquer, de lui apprendre ce qu’on peut et ne peut pas faire. Tu sais, Dernier, il y a des choses interdites, des choses dangereuses, qui peuvent faire des bobos, des gros bobos. Tu te rappelles, hein? Qui a lancé des billes depuis le lit? 

- Miyieu.

- Milieu?

- Tout à l’heure, depuis le lit superposé, qui a jeté les billes, dis-tu?

- Miyieu.

- Ah. Et qui est monté dans le lit d’en haut alors qu’il n’avait pas le droit?

- Miyieu.

- Et qui a touché aux affaires de ses frères?

- Miyieu.

- Et qui a sauté dans la grosse flaque et est rentré complètement trempé?


Dernier accuse son frère avec confiance et sérieux, en acquiesçant comme un vieux sage qui désapprouve. Je me rappelle d’un coup une de ces mille choses que j’ai vécues avec les enfants lorsqu’ils étaient plus petits, ces aventures majeures et mineures de parents, aventures qui disparaissent dans un coin de ma tête et resurgissent, comme ce soir. Je me rappelle que lorsque Grand avait autour de quatre ans, je l’aidais à mettre à distance les gronderies de Maman ou Papa en me fâchant très fort sur une énorme peluche lion, Gros Lion de son petit nom. Me fâcher sur une peluche aidait beaucoup Grand à comprendre ce qui n’allait pas dans son attitude, à comprendre ce qui est autorisé ou ne l’est pas. Le recoin de ma tête d’où sort ce souvenir m’offre le plaisir du souvenir d’une Bataille choisie que j’avais écrite, en même temps que le pincement de la culpabilité que je n’ai plus le temps de me fâcher sur Gros Lion, et qu’à la place je me fâche directement sur mes enfants… Soupir.    


En même temps, Dernier a trouvé son Gros Lion à lui, pour mettre à distance les gronderies, les regarder de l’extérieur, les comprendre, les intégrer… 

Milieu, le Gros Lion de Dernier. Milieu, le frère avec lequel Dernier se dispute le plus, avec lequel les conflits sont les plus ouverts, les plus sévères. Milieu dont pourtant, Dernier parle le plus à la crèche. Enfin, c’est ce que nous ont dit les éducatrices à la réunion de fin de premier semestre. Elles ont insisté à quel point Dernier parlait de son frère!

- Ah, oui, de Grand! Il joue beaucoup avec son grand frère, qui est très attentionné et aimant avec lui…

- Non, non, il parle surtout de Milieu.


De Milieu? De Milieu, vraiment? Ou parle-t-il de Milieu-Gros-Lion? Milieu qui s’élance la tête la première du toboggan alors que c’est dangereux, Milieu qui mange les collations de ses amis, Milieu qui a la désagréable habitude de se battre avec ses petits copains, Milieu qui lance des billes depuis le lit du haut, Milieu, double maléfique.


Sacré Milieu, va. 


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Heloise Simonbêtise, Dernier