La grosse bêtise

 

Batailles choisies #506

Trois histoires de grosses bêtises où être mère m’a paru important, magnifique et tout simplement jubilatoire.🙊


 

Comment faire comprendre à ses enfants, sans violence, avec bienveillance, lorsqu’ils ont mal agi? Il faut leur offrir le cadeau de la culpabilité: les enfants qui ont fait une bêtise doivent se sentir mal. C’est dans ce sentiment que se logent la prise de conscience et l’opportunité de grandir. C’est de cette émotion négative que ressort quelque chose de positif, non seulement pour mes enfants mais pour moi aussi: quand ils sont penauds, je sais que ça prend, que ça marche, que que c’est pour ça, que c’est bien ça, être mère. Et souvent, les grosses bêtises et leurs grandes leçons sont tout simplement jubilatoires. Trois enfants, trois bêtises, trois grandes joies maternelles, de la plus petite à la plus grande: 


Milieu 


C’est la fin d’après-midi, nous faisons du vélo dans la rue. Milieu, trop heureux d’enfourcher son bolide, va et vient en riant, en jouant, en faisant la course avec son frère. Malgré mes avertissements, mes appels à la prudence, il est plus préoccupé par ce qu’il se passe derrière lui (Grand va-t-il le rattraper?) que par ce qu’il se passe devant (Dernier joue avec un bout de bois sur la route). Je n’ai pas le temps d’arriver au bout du mot “attention!” que boum! collision avec Dernier: boum Dernier par terre boum Milieu par terre boum vélo par terre.


Je voudrais me fâcher mais je dois d’abord consoler Dernier au bobo léger bientôt oublié et je dois surtout consoler Milieu qui est entré en collision avec sa grosse bêtise. À peine relevé, son propre bobo complètement oublié, il vient à moi en criant “pardon, pardon, pardon, Maman, pardon, pardon!”. 

Dernier est parti jouer, déjà, et je reste, assise à même la route, avec Milieu que je tiens fort contre moi, séchant ses larmes, lui susurrant des tu vois au milieu des c’est fini et tu dois faire attention, en souriant avec douceur pendant qu’il pleure avec ardeur.

Qu’elles sont heureuses, parfois, leurs grosses bêtises.



Grand


Je suis en train de lire un livre à Milieu. En bas, où j’ai laissé Grand s’occuper le temps que son frère s’endorme, j’entends des bruits suspects. Je lui avais dit de feuilleter un livre ou d’installer le jeu d’échecs alors pourquoi est-ce que j’entends… des bruits de casseroles? Une porte qu’on ouvre? Qu’on referme? Le bruit de la porte du jardin? Du remue-ménage, enfin!

Milieu à peine endormi, je descends et trouve Grand, affairé, qui stoppe net pour me regarder avec un air de chien battu. Il tient à la main une grosse boule de sopalin mouillé. Dans la cuisine, des coupelles empilées me laissent craindre le pire.

- Grand, qu’est-ce qu’il s’est passé?

Grand baisse la tête, s’approche doucement de moi et la voix chevrotante, me dit:

- C’est que, Maman, j’ai voulu refaire l’expérience qu’on a faite à l’école, tu sais, celle avec les colorants alimentaires (aïe)... sans faire exprès, j’en ai renversé (aïe) et j’ai voulu nettoyer avec un chiffon (aïe) mais ça a fait d’autres traces (aïe) alors j’ai mouillé mais je crois que j’ai mis trop d’eau (aïe) donc il y en a sur le sol (aïe) et un petit peu sur les murs (aïe) mais pas vraiment beaucoup enfin un petit peu beaucoup seulement (aïe) donc j’ai été chercher un autre (aïe) rouleau de sopalin et…

Les assiettes empilées, les gouttelettes de couleurs mélangées sur les murs, le chiffon arc-en-ciel triste pendu sur l’étendoir à linge, l’eau par terre, tout s’explique avec cet air penaud de mon aîné qui s’est lancé dans une expérience scientifique, a tout sali, s’en est rendu compte et inquiété, a essayé de nettoyer et a empiré les choses parce qu’il ne sait pas nettoyer. Il me dit doucement qu’il est désolé, je lui réponds doucement des choses sévères avant de l’aider à remettre la maison en état pendant qu’il me dit que pour la prochaine expérience, il attendra que je sois avec lui.

Qu’elles sont heureuses, parfois, leurs grosses bêtises.


Dernier


J’entends un bruit dans la salle des enfants. Un bruit de déchirement, ou de découpage, ou de décollement, enfin: un bruit de grosse bêtise. Je me dépêche. Je mets quelques secondes à comprendre ce qu’il s’est passé avant que, oh non, ce camion, ah zut, la grue, pas possible, le taxi! Dernier a profité de mon inattention pour arracher consciencieusement les autocollants décoratifs de véhicules, fraîchement collés par son père, gisant désormais dispersés sur le sol. Ces autocollants tout beaux tout neufs, il lui était formellement interdit d’y toucher - et il le savait.

- Dernier! crie-je avec la colère contenue, la fermeté autoritaire et les gros yeux appropriés pour une telle situation

Dernier le sait bien, qu’il a fait quelque chose qu’il n’aurait pas dû. À peine a-t-il entendu ma voix qu’il se précipite dans mes bras. Il veut bien être grondé, mais il veut être réconforté en même temps: pendant mes douces et sévères remontrances, Dernier, le visage collé contre mon cœur, les bras passés autour de moi dans une étreinte maladroite, se tient immobile, les yeux grands ouverts, respirant fort, prêtant sans pleurer toute son attention au sermon. Ses cheveux me caressent le cou. Son souffle fait trembler mon vêtement. Ses petits doigts se baladent sur ma peau. Une minute passe dans cette pose figée, demande de pardon à laquelle j’acquiesce, avec mes doigts dans ses cheveux, ma voix qui se fait caresse, mon cœur qui bat avec le sien.     


Qu’elles sont heureuses, parfois, leurs grosses bêtises.


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