Une erreur judiciaire

 

Batailles choisies #131

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En deux mots:

Les femmes sont souvent de mauvaise humeur, remontées. C’est vrai. Elles sont remontées contre le patriarcat et ses satanées dominations invisibles. 


 

Ça m’arrive très souvent d’être exaspérée. D’être ce que j’appelle à tort “de mauvaise humeur”. Je suis renfermée, je ne décoche pas un sourire, dans ma tête je rumine ce que m’ont fait les enfants aujourd’hui (mis du sable dans les chaussures) ou mon mari (répondre à des mails sur son téléphone alors que cuisine et salle à manger attendent d’être rangés).  


Alors, parfois, j’explose sur les uns ou sur l’autre. Plus exactement, j’attends le moindre faux pas pour libérer un peu mes tensions.

Je crache du fiel sur les enfants, ou sur mon mari, oh et puis, tu vas la ranger, la cuisine? Allez, tu m’énerves. Je l’envoie balader, promener, paître - mais ne va pas paître trop loin, hors de question que je me coltine encore les gosses.


Ces sautes d’humeur qui agressent ma famille, je les trouve souvent injustes a posteriori. Je me sens coupable. Quand on m’en fait le reproche, je suis penaude. Mais je sais aussi que la vie intime de mon foyer n’a rien de personnel. Elle est politique. 

Je ne veux plus tomber dans le piège qu’on entend partout et surtout nulle part, ce qui le rend si difficile à identifier et dénoncer, que c’est de la mauvaise humeur de bonne femme.

Non, quand j’envoie bouler les uns ou les autres, c’est parce que ma coupe est pleine, pleine de forces qui se sont abattues sur moi, forces patriarcales qui font que depuis que je suis maman, particulièrement depuis la fermeture des écoles due au confinement, je suis exploitée et brûle de ressentiments. Je suis souvent de longues heures seule avec les deux enfants, je me lève la nuit, me réveille en premier, me couche tard, travaille dans la cuisine pendant les siestes, cuisine, range, organise, tout ça pour gagner moins et être moins considérée. Ce n’est pas juste!


Humeur à adoucir ou dominations systémiques?

Les écrits féministes m’ont appris que ce sentiment d’injustice, avec lequel on bataille et qu’on finit souvent par rationaliser en termes de “d’humeur à adoucir”, “de savoir mettre des priorités dans sa vie” est lié à des dominations réelles, systémiques, des forces d’exploitation dont il est difficile, impossible, de sortir indemne.      


J’ai souvent l’impression, quand je suis assaillie comme ça, et qu’il n’y a pas de sortie possible, que je suis, dans un film bizarre, une condamnée par méprise, comme si j’étais victime d’une erreur judiciaire de l’intime. C’est mon sentiment quand j’ai l’intime conviction que je subis une injustice, que je me suis fait avoir, mais que je dois vivre avec.

-Ah, mais, non, non, il y a erreur sur la personne, M’ssieurs dames les juges! Ça ne peut pas être moi au milieu de ces feux croisés? Moi je suis féministe depuis le lycée, j’ai un métier, fait des études, je ne suis pas du genre à me laisser marcher sur les pieds.

-Si, si, nous avons décidé que c’est vous quand même.


En général, ça passe - plutôt, je me résigne. 

Ça finit par aller mieux.


Mais ça ne devrait pas.

 
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