Emails ou enfants, il faut choisir

 

Batailles choisies #197

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En deux mots:

Retour sur un privilège masculin: jouir de l’image du bon père de famille quand on est constamment sur son téléphone portable. 


 

La semaine dernière, j’ai lu dans le tweet suivant cet extrait d’interview de Xavier Neil:


Les hommes de mauvaise foi adorent les définitions, alors commençons par mettre les choses au clair:

Disponible: “Qui, n'étant pas occupé, engagé, utilisé, est à la disposition de quelqu'un.”




Dire qu’on est disponible pour quelqu’un, c’est donc qu’on n’est pas engagé ailleurs, et qu’on se met à disposition des autres et de leurs besoins. Répondre à des emails, c’est être engagé ailleurs et ne pas être disponible pour ceux qui sont devant notre nez.


Mais comment fait-il?


À la lecture de ces lignes, la mauvaise féministe et la mauvaise mère que je suis, est interpellée. Mais comment fait-il? 

Je rappelle à moi les souvenirs des quelques fois où j’ai essayé de répondre à des emails avec mes enfants me tournant autour. Quand je lève la tête de mon ordinateur, l’un a fait pipi dans une plante verte, l’autre a mis du yaourt partout, l’un et l’autre se chamaillent pour attirer mon attention puisque, de toute évidence pour des enfants de cinq et deux ans et demi, je ne leur donne pas d’attention, je ne suis pas disponible. Si je lève la tête de mon téléphone et que la maison est calme, c’est en général pire: pour attirer mon attention, les enfants ont fait des beaux dessins au feutre sur mes vêtements, ou préparer un délicieux couscous en vidant le paquet moins dans une casserole que par terre.

Mais, sans doute, ce ne sont que mes enfants. Mauvaise mère et mauvaise féministe, vous dis-je. Peut-être que lorsque Xavier Neil a terminé de répondre à ses emails, les siens colorient calmement en se prêtant à tour de rôle les plus beaux crayons?

Garder le nez sur un écran nous met, nous parents, dans une position qui n’est jamais anticipation, que n’est toujours que réaction, réveil brutal de ses pensées à soi qui permettent d’écrire un email vers le monde des enfants qui vous accaparent corps et esprit. Avec les enfants, ce n’est pas marche ou crève, mais anticipe ou crève.

Dégonfler le ballon



Mais là où cet extrait m’a fait à la fois éclater de rire et sombrer dans une exaspération profonde du patriarcat, c’est cette phrase pour laquelle je vais me permettre une petite analyse linguistique:

Je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose de plus important que tout: les proches, la famille. Il faut que je sois à même de leur consacrer du temps, ou tout du moins d’être avec eux, même si j’ai un ordinateur ou un portable près de moi.

Ce que je trouve formidable, c’est qu’on sent que la bonne foi, le retour honnête sur soi-même, pointe le bout de son nez, tente une percée, mais non, retourne en fin de compte se terrer parce que la lumière du jour est définitivement trop crue.

On commence par la phrase “Je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose de plus important que tout: les proches, la famille”. Une phrase directe, percutante avec la juxtaposition par les deux points qui donne à la deuxième partie un ton définitoire. C’est la déclaration de grand principe. C’est beau. On a une valeur grandiose, on a trouvé le sommet de la pyramide: la famille.

Sauf que chaque ajout, chaque juxtaposition va réduire la portée de cette belle déclaration de principe: “consacrer du temps” (qui veut dire un peu de temps), le “tout du moins”, qui minimise la portée de ce qui vient d’être affirmé, le glissement de “consacrer du temps” à “être avec eux”, ce qui n’est pas du tout la même chose, le premier indiquant un engagement, le deuxième, non, et enfin le “même si”, cerise sur le gâteau, une subordonnée concessive, qui, on l’a bien compris, concède.

À force de concession, de minimisation, de glissement, on passe d’un grand principe à une réalité bien moins flatteuse: quand je suis avec mes enfants, je passe mon temps sur mon téléphone, donc je ne m’occupe pas d’eux. 

   

Devrait-on attendre autre chose de ce monsieur? Non.

Mais ce qui me fatigue, c’est la manière dont la question lui est posée, qui lui offre une belle image de lui-même, celle du bon père de famille qui “prend les vacances pour être avec ses enfants” (et répondre à des emails, on l’aura compris). 

Privilège masculin s’il en est.


Je ne connais pas la vie de M. Neil, ne fais qu’imaginer ce que ces quelques mots indiquent sur son partage des responsabilités parentales. Mais je suis fatiguée de ce vernis à cirer les pompes des messieurs occupés

Mais, juste, dites-le que vous avez des employé.e.s de maison et des compagnes qui font tout, promis, ça ne se verra pas sur les photos de famille.

 
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