La résilience des mères

 

Batailles choisies #281

Mères de tous les pays, arrêtez d’être résilientes! Petit article pour dynamiter un terme à la mode qui m’énerve particulièrement. 🧨


 

Vous avez déjà entendu un homme cis blanc dire qu’il est “résilient”? 

Non?

Ça ne m’étonne pas. 

En revanche, vous en avez souvent entendu dire qu’il “faut être résilient.e”?

Ça ne m’étonne pas non plus.


Je tombe sur un dépliant à l’intention des assistantes sociales intitulé “La résilience des mères adolescentes”.

Le terme de “résilience”, qu’on lit partout, m’agace depuis longtemps. Il ne me revient pas, je trouve qu’il sent le roussi. D’ailleurs, il suffit de le taper dans Google pour voir que son emploi est bien trop utilisé par l’empire du développement personnel (et donc par l’idéologie capitaliste, marchande et néolibérale) pour être honnête.

Suspecte, très suspecte, cette résilience. Employée parfois pour “patience” dans un sens adouci, je crois qu’il faut lui donner le synonyme qu’il mérite: la résignation.

Judith Butler dans cet article est particulièrement éclairante sur la résilience, blague cruelle de l’idéologie libérale, qui n’est que la résignation à vivre une vie invivable.

Une vie est invivable lorsque les conditions de base de ce qui rend sa vie vivable ne sont pas réunies: cela inclut un toit, l’accès aux soins, et l’éducation. Cela comprend aussi d’avoir des droits qui nous protègent contre la violence et l’exclusion. Nous nous posons parfois cette question existentielle: est-ce que ma vie est vivable? Mais c’est aussi une question d’ordre social, de celles qui se rapportent à notre vie commune.

Or on se rend bien compte que la société pousse beaucoup de femmes, d’autant plus lorsqu’elles deviennent mères, dans cet invivable: femmes puis mères, surtout racisées, sont les premières victimes des violences physiques, psychologiques, économiques et sociales - la pandémie l’a montré dans le monde entier. 

La philosophe américaine nous incite à poser une question simple et directe: est-ce que la vie des mères pauvres (des mères adolescentes, pour reprendre l’exemple de mon dépliant) est vivable?


Ce qui me dérange le plus dans ce concept de résilience, et qui en fait une plaisanterie cruelle, c’est qu’on encense les mères qui se résignent à une vie invivable, en leur enjoignant d’accepter l’inacceptable avec le sourire et, par un effet pervers, on dénigre celles qui ne l’acceptent pas. 

Toutes les mères (toutes les femmes, tous les opprimés en réalité) sont donc perdantes: celles qui sont résilientes doivent se taire sans réclamer le droit à une vie meilleure et celles qui ne le sont pas sont dénuées d’un trait qu’on vend comme une qualité morale.


Les mères que je connais ne sont pas résilientes. En revanche, elles sont furieuses, rebelles, révolutionnaires et c’est ce qui me donne de l’espoir.


Les oppresseurs sont bien contents d’enjoindre les autres à se résigner et l’idée de résilience est pratique pour cacher les systèmes oppresseurs. 

Comptez sur les mères pour les mettre en pleine lumière - ou y mettre le feu.


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