Petite musique

 

Batailles choisies #328

La vie d’adulte, c’est bien cette petite musique qui, même heureuse, ne se défait jamais totalement de ses notes tristes ou sombres? 🎻


 

Quel est ce doux bruit? 

C’est le pépiement printanier des oiseaux et des enfants discutant, négociant, jouant, riant.

C’est Milieu qui montre à Mamie un livre avec de très beaux camions et de très beaux marteaux. 

C’est Grand qui fait un puzzle avec Papi.

C’est le son de petits-enfants qui ont parfaitement saisi qu’on peut demander tout ce qu’on veut à ce Papi et cette Mamie qui viennent d’arriver et de loin, tu peux m’habiller, encore un chocolat, on va jouer dehors, une partie de cartes, une pomme en morceaux et maintenant une poire épluchée, allez Mamie dépêche-toi on joue à chat, bon Papi tu fais le cheval?

C’est le doux bruit de la familiarité, de ma famille de France dans ma vie au Chili. 


Quand je suis partie de Grenoble pour m’installer au bout du monde il y a bientôt six ans, j’avais la certitude que ce ne serait qu’une étape de quelques années, le temps que mon mari s’acquitte de son obligation légale de travailler dans le pays qui avait financé sa thèse. Après ces années contraintes, on rentrerait en France où j’aurais davantage de soutien, où j’aurais un avenir, où j’aurais plus de liens.

Il fallait juste que je tienne.

Que je tienne ces quelques années, que je prendrais jour après jour, mois après mois, année après année. 

C’est peu dire que mon installation ici a été difficile - périlleuse, pour reprendre le terme d’une amie qui avait bien raison. Je me raccrochais à cet espoir qu’un jour, on se réinstallerait en France, on retrouverait la vie équilibrée qu’on avait là-bas, ou on en fabriquerait une puisque nous avions désormais un enfant, mon mari et moi. Cet équilibre, je le retrouverais grâce à ma famille qui me manquait terriblement, sans laquelle je ne voyais pas comment j’allais faire dans ma nouvelle vie de mère, déséquilibrée, instable, dangereuse, solitaire.

C’était la petite musique de mon espoir qui me maintenait - à peine - sur le fil.


Depuis, un retour en France n’est plus au programme. Ma vie ici s’est stabilisée, elle a ses marques, elle a ses avantages, nombreux, et ses inconvénients, moins nombreux.

L’absence de mes parents est le côté négatif principal, l’absence des grands-parents français pour mes enfants, l’absence de mes parents à moi, mère de famille nombreuse qui travaille et ne veut rien d’autre que la familiarité et l’entente avec ses parents, que leur disponibilité quand les enfants sont malades ou qu’on aimerait un week-end en amoureux.     


Alors, ce bruit de mes enfants qui jouent avec leurs grands-parents de France, ce bruit de mes parents qui s’activent à me faciliter la tâche, est si doux!

C’est la petite musique du bonheur, d’une vie rêvée: le meilleur de ma famille d’ici, le meilleur de ma famille de là-bas.

Ce doux bruit pourtant n’est pas une fanfare victorieuse! J’en saisis toutes les notes, les nuances sombres, tristes: lorsque mes parents arrivent, c’est qu’ils repartiront bientôt; lorsque mes enfants passent leurs journées avec Papi et Mamie, c’est que sous peu il faudra leur dire “bon voyage”.

Lorsque mes parents sont là, c’est que leur absence prochaine est inévitable.

Être heureuse ici, c’est être loin d’eux.


C’est la vie des accords majeurs, des accords mineurs, des mélodies coulant des uns aux autres, c’est, d’une vie d’adulte, la petite musique.


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