Somnambule, bulletin, tintamarre, marre, marre 

 

Batailles choisies #330

Dans le lit parental, un enfant en long, un bébé en large et une maman en PLS. C’est vers quel âge qu’on dort pépère - pardon, mémère? 🥱


 

À ma gauche, Milieu est en pleine terreur nocturne.

À ma droite, Dernier est en pleine tétée nocturne.

À ma gauche, Milieu hurle. 

À ma droite, Dernier pleure.

Ma main gauche tente des câlins sur le hurleur.

Ma main droite fourre un téton dans la bouche du téteur.

Attention!

On change de sens, à présent!

À ma droite, Milieu essaie de se réconforter en trouvant à tâtons mon visage - plus que des caresses, je crois que ces gestes s’appellent, en français, il me semble, des baffes.

À ma gauche, Dernier étonné de cet intrus dans son monde de la nuit me mord le téton de désaccord - z’avez pas fini de gigoter, z’avez vu l’heure qu’il est, si vous continuez, je sors les crocs.

Allez, encore un tour!

À ma gauche, Milieu menace de s’endormir, paupières vibrantes.

À ma droite, Dernier menace de se réveiller, pupilles brillantes - ah tiens, un frère dans le lit, c’est sûrement le matin, non?


Non. il est 01h21. 

Je viens à bout des appétits, des cris, des à-tout-prix.

Ça dort à gauche.

Ça se rendort à droite.

Il est je-n’ose-même-pas-regarder-et-quart.


Dans ma tête, ça gamberge, ça s’invente des nuits tranquilles-oh-j’en-peux-plus, ça s’invente des explications-sûrement-son-père-et-son-frère-partis-en-week-end, ça s’invente des solutions-peut-être-s’il-s’endort-plus-tôt, ça s’invente des conversations-non-c’est-désespéré-j’ai-besoin-d’aide-Madame.


Je connais quelques noms de sociétés, françaises ou chiliennes, qui se spécialisent dans le conseil en sommeil pour bébé, qu’on m’a recommandées ici ou là. J’ai déjà envisagé d’y recourir, un pas en avant, trois qui reculent, une nuit qui va de l’avant, trois qui marchent-arrière: ma volonté d’y recourir a fluctué et fluctue encore.

Cette nuit, pourtant, alors que le papa qui d’habitude s’occupe de Milieu lorsqu’il pleure est en séjour père-fils avec son aîné, cette nuit pourtant, donc, malgré la plus mauvaise volonté du monde, je suis catapultée dans le ressassement de mes échecs et je me résous à penser haut et fort-mais-pas-trop-pour-ne-surtout-pas-les-réveiller: j’ai vraiment raté le sommeil avec les enfants, il faut que je trouve une solution, c’est pas vivable. 

Les histoires pour enfants de monstres qui attendent sous le lit ou dans le placard, vous connaissez? Eh bien, cette petite voix, c’est mon monstre à moi, qui se décline en dizaines de Minions moqueurs, qui m’attendent, la nuit, sous mon lit: ma culpabilité, la certitude que je ne fais pas assez, que je m’y prends mal, que je dois travailler, m’améliorer encore. Et personne pour m’aider à dégager ces créatures de sous mon lit, pas plus qu’on ne peut me dégager celles qui prennent toute la place dans mon lit! 


Bon, demain, j’écris… il faut qu’on m’aide, je m’y suis mal prise depuis le début, j’enchaîne les erreurs, il faut des routines, des bonnes habitudes de sommeil. Internet, qui regorge de parents parfaits, est formel! Allez, demain, je trouve de l’aide, j’expliquerai… quoi au juste? Je vais m’entraîner à ce que je vais dire, oui, pour expliquer au mieux: 

- Et Milieu, il s’endort seul?

- Rarement. Souvent avec son père.

- Ah. Il a commencé à quel âge à faire ses nuits?

- Euh… il a trois ans et trois mois, donc vers trois ans et deux mois, je dirais, grosso modo.

- Ah. Je vois. Et lorsqu’il se réveille, il réussit à se rendormir seul?

- Non, son père va se coucher avec lui.

- Ah. Et donc, votre bébé, il s’endort seul?

- Non, avec moi.

- Ah. Il ne s’endort pas au sein, tout de même?

- Euh, si. 

- Et il se réveille combien de fois par nuit?

- Eh bien, entre deux et cinq, je dirais.

- Ah.


Je suis certaine que cette conseillère imaginaire me juge, la grognasse. Qu’elle a un papier, qu’elle y note mes réponses et qu’à la fin de son questionnaire, la réponse est formelle: vous êtes nulle. Faut pas vous étonner, ma p’tite dame, c’est de VOTRE faute si vos enfants dorment si mal, c’est VOUS qui enlevez l’autonomie de vos enfants, c’est VOTRE responsabilité de leur apprendre le sommeil - les conseillères en sommeil imaginaires sont vraiment désagréables.

Je rumine, je gamberge, je questionne et je réponds, au milieu de la nuit, au milieu de mon lit, au milieu de deux enfants qui ont presque achevé de me grimper dessus et qui m’ont presque achevée tout court.

Je n’ose pas bouger, à peine respirer. J’ai échoué, la tête coincée entre des oreillers, dans une position de bras en croix mais repliés contre mes côtes, une sorte de croisé entre le Christ et un canard. Surtout ne pas bouger. Surtout ne pas réveiller la terreur populaire. Surtout ne pas trop réfléchir et se rendormir. 

Je suis crucifiée dans mon lit, flanquée de deux larrons de sommeil. Mais je préfère ça au catéchisme du dodo chez l’enfant. 

J’ai trois enfants. Je n’ai pas dormi une nuit complète depuis presque six ans. Mais je n’ai plus la force de bien faire. Je n’ai plus la force d’écouter la liste de mes erreurs. Je n’ai plus la force d’être coupable. 

Alterner bonnes et mauvaises nuits, alterner les correctes et les très mauvaises.

Être mère, être somnambule, jour et nuit. 


Je le dis haut et fort: tant pis pour mon sommeil, je ne veux pas de leçon, je veux qu’on me laisse tranquille! Voilà! Marre, marre, marre de devoir travailler tout le temps à être une bonne mère! Qu’on le crie sur tous les toits… Ah, non, pas trop fort, chut, chut, dormez, mes petits, dormez.

Ouf.

Doux Jésus.


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Heloise Simonsommeil, dodo