Reconnectée

 

Batailles choisies #369

Exercice difficile au milieu de la fatigue: donner de la sérénité à son bébé quand on bouillonne intérieurement en hurlant pour soi: quand est-ce qu’il dort, quand est-ce que je me tire? 🖐🏻


 

Je pose ma main sur Dernier.

En luttant avec moi-même.

Avec effort.

Il est tard, bientôt 22 heures, et il ne dort pas. Sieste à 17 heures passées, heure de coucher décalée, ma journée s’étirera donc tant qu’il reste un enfant dont les yeux sont ouverts.

Il gigote, tourne dans son lit de transition où je me suis posée tout contre lui pour la tétée. 

Il chouine.

Me griffe.

Me met des coups de tête en cherchant du câlin.

Me gifle en balayant l’air de ses bras maladroits tâtonnant pour sa maman.

Réclame le sein, s’en détache abruptement puis le cherche de nouveau.

Je dois prendre mon mal en patience.

Oh… j’ai du mal.

Oh… je n’ai pas de patience.


Alors que Dernier me cherche, m'agrippe, me demande, je ne veux que me sauver, me reposer, me retrouver. 

Mon corps tout entier crie que je n’ai aucune envie d’être là.

Dernier a mon sein dans la bouche, mais c’est comme si mon corps s’était dissocié entre ce sein dont il a besoin et le reste de mon corps qui se refuse à être là, qui regimbe, qui résiste à être à lui. 

Mes muscles sont tendus.

Mes sourcils sont froncés.

Mes lèvres sont pincées.

J’ai le regard vide qui se perd dans l’orangé des lampadaires de ma rue.

J’ai la mâchoire serrée de toute la frustration accumulée aujourd’hui, hier, cette année, cette vie.


Je le sais pourtant, que ça ne marche jamais, quand je suis là sans être là, quand je nourris sans aimer, quand je caresse sans douceur, dissociée ainsi, incapable de réconcilier la mère dont mon fils a besoin et celle que je suis, ce soir, dans la fatigue.

Nous sommes si loin des tétées que je donne avec mon cœur tous les jours, celles où je regarde Dernier se rassasier goulûment, celles où je lui caresse les cheveux dont je peux étudier chaque jour chaque reflet (tiens, il devient rouquin, ce petit),celles où j’admire ses longs cils, celles où je plonge mes regards dans ses yeux bruns me dévorant d’amour.


Je n’ai pas envie, je n’y arrive pas.

Mère de trois enfants, je le sais bien, pourtant, qu’il n’y a qu’une solution: aller chercher au fond de mon puits épuisé la dernière goutte d’amour maternelle.

C’est dans un grand soupir que tout mon corps se met en branle pour nous reconnecter, lui et moi, pour me reconnecter et redevenir capable d’amour.

Grande inspiration.

Fermer les yeux.

Les ouvrir et regarder cet être, mon bébé.

Sentir mon cœur finir sa bouderie, s’ouvrir, se réchauffer et diffuser sa chaleur à mon corps et ma tête.

Dénouer mes épaules.

Déplier mon bras, mes doigts un à un, pouce, puis index, majeur et annulaire, puis tout doucement auriculaire, garder ma paume ouverte et la poser sur le dos de cette créature fragile, faire entrer dans son cœur la sérénité prélude au sommeil, le contentement du corps, la certitude d’être aimé, toutes ces choses magiques que ma paume ouverte donne, ou plutôt, demande, comme un pardon.


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Heloise SimonDernier, dodo, patience